Archives mensuelles : octobre 2010

Défense de la retraite à 60 ans (France) versus défense de la préretraite à 60/62 ans (Danemark)

P7251849Avant de poursuivre la revue (presque inépuisable une fois admise la thèse du délitement accéléré de notre pays) de ce que les Danois ont à nous apprendre, il peut sembler utile, à l’heure où la France est une nouvelle fois paralysée par la grève, de faire un dernier point sur le thème des retraites. Histoire de bien comprendre l’absurdité de la situation actuelle.

Pendant qu’une majorité de nos concitoyens apporte son soutien à un mouvement social dont les formes d’action sont en grande partie inacceptables en sans égal en Europe, une majorité de Danois se dit convaincue de la disparition, d’ici une dizaine d’années, du dispositif de préretraite. Autrement dit, au moment même où les organisations syndicales, non-représentatives, et le parti socialiste, décidément arriéré dans ses prises de position, s’accrochent au principe intenable de la retraite à 60 ans, une partie non négligeable de la population danoise se prépare à la suppression de la préretraite, dont il est aujourd’hui possible de bénéficier à partir de…60 ans.

Sous certains aspects, la réforme des retraites aujourd’hui proposée en France est critiquable. Le Mouvement Démocrate en a d’ailleurs pointé les injustices. La taille de la pilule à avaler est toutefois proportionnelle à l’inactivisme des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, sur le sujet. La réforme actuelle est loin de régler les problèmes de manque de financement…D’où le retour du thème des retraites dès 2013 (1).

D’un autre côté, on ne peut s’empêcher de souligner le cruel manque de pédagogie de la part du gouvernement: les expériences vécues à l’étranger, y compris au Danemark, n’ont été véritablement mises en avant qu’une fois le conflit déclenché. Les carences habituelles de nos gouvernants sont d’autant plus criantes dans le contexte actuel: pas de véritable prise en compte de ce qui marche à l’étranger (dans le domaine des retraites, il aurait fallu davantage se pencher sur le modèle suédois…), absence de tout débat sur les sujets inséparables du thème des retraites (emploi des jeunes, emploi des séniors…).

Courrier Danemark s’efforce depuis plus de deux ans de mettre en lumière la répétition de travers qui sautent aux yeux vus de l’étranger. La situation actuelle dans notre pays est si mauvaise que la réforme actuelle des retraites cristallise à elle seule tous les mécontentements. Ce sera le cas tant que l’on nous reservira les mêmes plats.

Un autre exemple pour la route? La Commission Attali. Pourquoi toujours choisir la même personne pour diriger une commission dont les 42 autres membres sont invariablement mis dans l’ombre en raison de la personnification excessive du travail accompli? Le résultat est pourtant prévisible: aussi intéressantes que puissent être les propositions émises (par exemple la TVA sociale), elles ne trouveront que très peu d’écho dans la mesure où nos concitoyens ne se reconnaissent plus dans le “modèle” du navire à un seul capitaine.

Pour la petite histoire, ni les 71% de Français qui soutiennent le mouvement social actuel, ni les Danois se déclarant pour la suppression immédiate de la préretraite, n’ont raison. Les premiers parce qu’ils ne saisissent plus la marche du monde, empêtrés dans des réflexes idéologiques totalement dépassés, les seconds parce que les économies promises par une telle mesure (le coût du dispositif est d’environ 3 milliards d’euros par an) ne sont qu’une illusion: dans le contexte actuel, marqué par une timide amélioration de l’emploi, les quelque 130 000 bénéficiaires de la préretraite seraient dans leur majorité contraints de toucher l’allocation chômage, ce qui ne profiterait absolument pas aux finances publiques (en nette amélioration par ailleurs, un retour sous la barre de 3% de déficit étant envisageable dès 2012). Sans compter que la préretraite permet de prendre en compte le facteur de la pénibilité du travail.

A l’arrivée, les blocages actuels, qui résultent en partie de notre refus de prendre en compte la réalité des évolutions démographiques, nous empêchent logiquement d’exploiter les opportunités qui y sont associées. Un rapport publié au Danemark dès 2006, au moment même où les formations politiques parvenaient à un accord en termes d’élévation progressive de l’âge de départ en préretraite (de 60 à 62 ans entre 2019 et 2022) et en retraite (de 65 à 67 ans entre 2024 et 2027), les pointait justement du doigt en appelant à l’avènement d’une société dans laquelle le rôle joué par individu dans la société n’est pas déterminé par son âge, mais par ses capacités physiques et psychologiques (2).

Le Danemark n’a certes pas encore integré toutes les promesses des travaux menés au cours de ces dernières années, mais comment ne pas faire le lien entre ces réflexions et son très bon placement en termes de “velfærdsteknologi” (solutions technologiques principalement centrées sur les personnes âgées), par ailleurs nouveau succès à l’export?

(1)http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/22/pour-le-vrai-debat-rendez-vous-en-2013_1429763_3232.html

(2) Det Strategiske Forskningsråd www.fi.dk/…aldrendesamfund…/det-aldrendesamfund-2030.pdf Autre recommandation du rapport en question, la généralisation du rôle de mentor joué par les séniors sur le marché du travail, en direction notamment des étrangers. Une manière de transmettre ses connaissances et son expérience aux jeunes générations.

Bookmark and Share

La France et le Danemark à la croisée des chemins

P7141654Suivre le Danemark a ceci d’intéressant qu’en tant que pays parmi les plus avancés de la planète, il joue le rôle d’éclaireur face au tsunami asiatique qui se prépare. Les projections de classement du PIB par habitant en 2020 indiquent par exemple que quatre pays asiatiques pourraient figurer dans le top 15 d’ici cette date (Singapour, Hong-Kong, Taïwan et la Corée du Sud). La Chine et l’Inde n’atteindront pas encore ces niveaux mais attirent, autre exemple, une part croissante des fonctions de R&D de nos grandes entreprises.

Face aux défis posés par l’émergence de l’Asie, il importe de réagir, à travers notamment l’adoption d’ambitieuses réformes structurelles. Cela vaut pour la France, comparativement moins affectée par la crise, et pour le Danemark, où la reprise semble néanmoins plus vigoureuse (croissance de 1,7% au second trimestre 2010, de 3,7% sur un an).

A propos de réformes structurelles, les défis s’accumulent pour le Danemark. La faute à un contexte politique figé (la coalition parlementaire au pouvoir ne dispose pas de la majorité au Folketing) dans l’attente de la tenue des prochaines élections, au plus tard à l’automne 2011. Le Danemark est en effet contraint, pour préserver le niveau actuel d’Etat-providence, de réformer en profondeur son marché du travail (allongement de la durée du travail, suppression de la préretraite, réforme de la pension d’invalidité, recours accru à la main-d’œuvre étrangère qualifiée…), de mettre un terme à l’envolée de la consommation publique (record mondial dans ce domaine), de relancer la productivité, à la base du glissement du pays dans les divers classements internationaux, sans compter tout un arsenal de mesures destinées à renforcer sa compétitivité. Le tout afin de répondre aux sombres perspectives dessinées par l’OCDE sur la période 2012-2025.

Taux de croissance moyen attendu au cours de la période 2012-2025 (OCDE)

image

En résumé, le Danemark n’a pas d’autre choix que de prendre davantage conscience, au cours de la période de transition actuelle, de sa vulnérabilité et du sentiment d’urgence censé l’accompagner. La question qui doit alors naturellement se poser est la suivante: si un pays aussi avancé que le Danemark est confronté à des défis d’une aussi grande ampleur avec des fondamentaux pourtant bien plus solides que la plupart de ses partenaires européens, qu’en est-il de se qui attend la France?

Cette question a de quoi faire peur. Pensez un instant aux défis qui attendent notre pays lorsqu’il doit par avance faire face aux handicaps suivants:

La dette publique était de 82,9% à la fin du premier semestre 2010. Elle attendra vite la barre des 90% (contre 50% au Danemark). Autrement dit, notre pays ne dispose d’aucune marge de manoeuvre budgétaire.

A peine 50% des contribuables s’acquittent de l’impôt sur le revenu (90% au Danemark). Difficile dans ce cadre de convaincre qui que ce soit que le pays navigue vers une destination commune où la solidarité bénéficie d’une place de choix.

Le marché du travail est caractérisé par un taux d’emploi plus faible de plus de 10 pts par rapport au Danemark, le fonctionnement du service de l’emploi est plombé par la fusion ANPE-Unedic et l’alignement sur le modèle de flexicurité reste largement à accomplir.

L’organisation des collectivités territoriales est à revoir entièrement. A titre d’exemple, le Danemark ne dispose plus que de 98 communes et de 5 régions depuis 2007. En prenant en compte l’effet taille, l’équivalent serait d’environ 1200 communes dans notre pays. Pas 37 000…

Nos échanges extérieurs sont déséquilibrés et la mondialisation continue de faire peur. Un joli contraste avec le Danemark, qui ne jure en ce moment que par la Chine, appréhendée non pas comme une menace, mais comme un océan d’opportunités.

La réforme actuelle des retraites, perçue comme peu ambitieuse à l’étranger (mais comme inacceptable par des syndicats archaïques accrochés au dogme de la retraite à 60 ans) ne règle pas les problèmes de financement (en comparaison, le Danemark dispose du système de retraite le plus solide de l’UE avec la Suède).

Le nombre de travailleurs pauvres augmente (quoi de plus normal avec un salaire médian d’à peine 1600 euros par mois?). Les danois ont depuis longtemps compris qu’il n’y a pas que la compétitivité des salaires qui compte. Les employeurs payent d’autre part très peu de charges sociales, tandis que le taux de l’IS est dans la moyenne européenne (25%, contre 33% en France).

A société moderne, formes de management modernes (pas de cas France-Télécom au Danemark). La coupure entre les élites et le reste de la population n’est plus à démontrer, de même que la lourdeur des hiérarchies. En visite au Danemark la semaine dernière, Robin Sharma, expert dans ce domaine, soulignait notamment l’impérieuse  nécessité de faire de tous les employés des “leaders”.

La société française est atteinte d’un certain immobilisme: vérouillage des postes clés (pas ou peu de trentenaires ou de quadragénaires, faible présence des femmes, remise en cause de l’indépendance de la justice, impartialité de la presse attaquée, capitalisme de connivence), ascenseur social bloqué et sentiment répandu de déclassement. Or, qui dit faible mobilité dit faible dynamisme…

Définition de plus en plus exclusive du pays par opposition: à la mondialisation, aux réformes (avec souvent une vision étriquée des dossiers: combien de fois a t-on entendu dire, lors des négociations entourant la réforme des retraites, qu’au lieu de modifier l’âge de départ à la retraite, il valait mieux faire de la place aux jeunes?), à la Turquie dans l’UE…

Alors que l’immobilisme du gouvernement danois commence à irriter une frange croissante de la population (une majorité de citoyens serait par exemple favorable à une intervention sur les préretraites), de plus en plus consciente de l’ampleur des sacrifices nécessaires à la préservation du niveau de vie actuel, une partie des Français est dans la rue pour la conservation “d’acquis” qui n’existent déjà plus dans des pays ayant un niveau de vie comparable…Avons-nous seulement conscience de ce qui nous attend?

Bookmark and Share