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Le Danemark et le plan économie 2020

P2266896Aux yeux des Français et de beaucoup d’autres, le Danemark reste un pays largement méconnu. Cela n’empêche pas certains observateurs de lui prédire un avenir particulièrement sombre, sur la base des défis nés de la crise. Un avenir qui serait par exemple caractérisé par l’impossibilité, au vu de l’épuisement progressif des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz en Mer du Nord, de revenir à la situation d’excédent budgétaire vécue avant la crise. Or, ces mêmes excédents avaient atteint 4,8% en 2007 et 3,3% en 2008, pour des recettes pétrolières et gazières qui n’avaient jamais dépassé 2%…(1). Un avenir également marqué par le retour de la problématique du manque de main-d’œuvre, qui se heurterait aux problèmes d’intégration de la main-d’œuvre étrangère d’origine non-occidentale sur le marché du travail. Quand bien même que le taux d’emploi des personnes concernées a progressé de 10 pts entre 2001 et 2009, s’approchant désormais du taux d’emploi des femmes dans notre pays…(2).

Que n’aurait-il pas alors été dit sur le Danemark en 1993, lorsque le taux de chômage dépassait 12% et que la dette publique franchissait la barre des 80% du PIB, soit des niveaux presque deux fois plus élevés qu’aujourd’hui ?

Sur fond de campagne électorale, on ne parle aujourd’hui au Danemark que du « plan économie 2020 ». Exactement le genre de discussions qui permettent d’expliquer, au moins partiellement, ses facultés reconnues d’adaptation aux impératifs de la mondialisation. Des discussions qui mettent également en lumière, par contraste, la nécessité dans notre pays de relancer de tels exercices.

Afin d’équilibrer recettes et dépenses à l’horizon 2020, il manquerait un peu plus de 6 milliards d’euros au pays. Un montant qui dépend de tant de facteurs qu’il est nécessairement approximatif, mais qui a le mérite de préciser le cadre dans lequel chaque formation politique est censée évoluer et qui contraint l’ensemble des acteurs à chiffrer très précisément leurs propositions, en veillant à financer d’éventuelles nouvelles dépenses par, au minimum, des recettes correspondantes…

C’est dans ce contexte que le Danemark a pris conscience que le dispositif actuel de préretraite était un luxe qu’il ne pouvait plus se payer. L’âge minimum de départ en préretraite sera donc porté, conjointement à la réduction de la durée du dispositif (de 5 à 3 ans), à 62 ans en 2017 et 64 ans en 2023, l’âge de départ en retraite passant quant à lui à 67 ans en 2022.

Cette réforme vient s’ajouter au plan de redressement des finances publiques sur la période 2011-2013 (voir « le Danemark et la rigueur »). Elle est complétée par des mesures d’économies supplémentaires, notamment la réduction de 10% du budget de la défense (à compter de 2015) et de la contribution danoise au budget européen. Par contraste, qui parle aujourd’hui dans notre pays, du prix à payer pour la crise et des efforts à consentir pour équilibrer les finances publiques à moyen terme ? On préfère le bidouillage budgétaire et la mise en œuvre de mesures d’économies de bout de chandelle.

Le simple objectif d’équilibre budgétaire ne saurait toutefois assurer le dynamisme d’une économie et sa capacité à rebondir après une sévère crise. D’où les mesures de renforcement de la croissance présentées la semaine dernière, qui constituent le deuxième volet du « plan économie 2020 ».

Parmi ces mesures, la nomination d’ambassadeurs chargés de promouvoir les exportations danoises vers les pays BRIC, la mise en place d’une commission chargée d’étudier la faisabilité d’une baisse de l’impôt sur les sociétés (de 25 à 20%), la reconduction de certaines mesures de soutien aux entreprises exportatrices, la mise en concurrence des communes (entre autres mesures) dans le but de faire passer le taux d’emploi des étrangers d’origine non-occidentale de 55 à 65% en 2020, la réorganisation de l’effort public consacré à la R&D (le Danemark y consacre déjà plus de 3% de son PIB, un tiers du montant provenant du public)…

En résumé, une fois les défis budgétaires relevés, le « plan économie 2020 » contribue à libérer les énergies et les propositions de réforme, avec un impératif : laisser davantage de place au secteur privé.

En dépit d’un retour momentané en récession (qui doit notamment aux objectifs très ambitieux fixés en termes de la consommation publique et à la reconstitution de l’épargne des ménages, évolution finalement saine au vu de leur niveau d’endettement), qui s’accompagne néanmoins d’une amélioration de la situation de l’emploi depuis maintenant six mois (taux de chômage de l’ordre de 7% selon Eurostat), pas de quoi faire preuve d’un pessimisme démesuré…

(1) Recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz en Mer du Nord (en % du PIB)

imageSource : ministère des Finances (décembre 2010)

(2) Selon l’Office Danois des Statistiques, le taux d’emploi des étrangers d’origine occidentale était de 54,1% en 2009 (57,3% pour l’ensemble des étrangers). Selon Eurostat, le taux d’emploi des femmes était au même moment de 60% en France.


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La France et le Danemark à la croisée des chemins

P7141654Suivre le Danemark a ceci d’intéressant qu’en tant que pays parmi les plus avancés de la planète, il joue le rôle d’éclaireur face au tsunami asiatique qui se prépare. Les projections de classement du PIB par habitant en 2020 indiquent par exemple que quatre pays asiatiques pourraient figurer dans le top 15 d’ici cette date (Singapour, Hong-Kong, Taïwan et la Corée du Sud). La Chine et l’Inde n’atteindront pas encore ces niveaux mais attirent, autre exemple, une part croissante des fonctions de R&D de nos grandes entreprises.

Face aux défis posés par l’émergence de l’Asie, il importe de réagir, à travers notamment l’adoption d’ambitieuses réformes structurelles. Cela vaut pour la France, comparativement moins affectée par la crise, et pour le Danemark, où la reprise semble néanmoins plus vigoureuse (croissance de 1,7% au second trimestre 2010, de 3,7% sur un an).

A propos de réformes structurelles, les défis s’accumulent pour le Danemark. La faute à un contexte politique figé (la coalition parlementaire au pouvoir ne dispose pas de la majorité au Folketing) dans l’attente de la tenue des prochaines élections, au plus tard à l’automne 2011. Le Danemark est en effet contraint, pour préserver le niveau actuel d’Etat-providence, de réformer en profondeur son marché du travail (allongement de la durée du travail, suppression de la préretraite, réforme de la pension d’invalidité, recours accru à la main-d’œuvre étrangère qualifiée…), de mettre un terme à l’envolée de la consommation publique (record mondial dans ce domaine), de relancer la productivité, à la base du glissement du pays dans les divers classements internationaux, sans compter tout un arsenal de mesures destinées à renforcer sa compétitivité. Le tout afin de répondre aux sombres perspectives dessinées par l’OCDE sur la période 2012-2025.

Taux de croissance moyen attendu au cours de la période 2012-2025 (OCDE)

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En résumé, le Danemark n’a pas d’autre choix que de prendre davantage conscience, au cours de la période de transition actuelle, de sa vulnérabilité et du sentiment d’urgence censé l’accompagner. La question qui doit alors naturellement se poser est la suivante: si un pays aussi avancé que le Danemark est confronté à des défis d’une aussi grande ampleur avec des fondamentaux pourtant bien plus solides que la plupart de ses partenaires européens, qu’en est-il de se qui attend la France?

Cette question a de quoi faire peur. Pensez un instant aux défis qui attendent notre pays lorsqu’il doit par avance faire face aux handicaps suivants:

La dette publique était de 82,9% à la fin du premier semestre 2010. Elle attendra vite la barre des 90% (contre 50% au Danemark). Autrement dit, notre pays ne dispose d’aucune marge de manoeuvre budgétaire.

A peine 50% des contribuables s’acquittent de l’impôt sur le revenu (90% au Danemark). Difficile dans ce cadre de convaincre qui que ce soit que le pays navigue vers une destination commune où la solidarité bénéficie d’une place de choix.

Le marché du travail est caractérisé par un taux d’emploi plus faible de plus de 10 pts par rapport au Danemark, le fonctionnement du service de l’emploi est plombé par la fusion ANPE-Unedic et l’alignement sur le modèle de flexicurité reste largement à accomplir.

L’organisation des collectivités territoriales est à revoir entièrement. A titre d’exemple, le Danemark ne dispose plus que de 98 communes et de 5 régions depuis 2007. En prenant en compte l’effet taille, l’équivalent serait d’environ 1200 communes dans notre pays. Pas 37 000…

Nos échanges extérieurs sont déséquilibrés et la mondialisation continue de faire peur. Un joli contraste avec le Danemark, qui ne jure en ce moment que par la Chine, appréhendée non pas comme une menace, mais comme un océan d’opportunités.

La réforme actuelle des retraites, perçue comme peu ambitieuse à l’étranger (mais comme inacceptable par des syndicats archaïques accrochés au dogme de la retraite à 60 ans) ne règle pas les problèmes de financement (en comparaison, le Danemark dispose du système de retraite le plus solide de l’UE avec la Suède).

Le nombre de travailleurs pauvres augmente (quoi de plus normal avec un salaire médian d’à peine 1600 euros par mois?). Les danois ont depuis longtemps compris qu’il n’y a pas que la compétitivité des salaires qui compte. Les employeurs payent d’autre part très peu de charges sociales, tandis que le taux de l’IS est dans la moyenne européenne (25%, contre 33% en France).

A société moderne, formes de management modernes (pas de cas France-Télécom au Danemark). La coupure entre les élites et le reste de la population n’est plus à démontrer, de même que la lourdeur des hiérarchies. En visite au Danemark la semaine dernière, Robin Sharma, expert dans ce domaine, soulignait notamment l’impérieuse  nécessité de faire de tous les employés des “leaders”.

La société française est atteinte d’un certain immobilisme: vérouillage des postes clés (pas ou peu de trentenaires ou de quadragénaires, faible présence des femmes, remise en cause de l’indépendance de la justice, impartialité de la presse attaquée, capitalisme de connivence), ascenseur social bloqué et sentiment répandu de déclassement. Or, qui dit faible mobilité dit faible dynamisme…

Définition de plus en plus exclusive du pays par opposition: à la mondialisation, aux réformes (avec souvent une vision étriquée des dossiers: combien de fois a t-on entendu dire, lors des négociations entourant la réforme des retraites, qu’au lieu de modifier l’âge de départ à la retraite, il valait mieux faire de la place aux jeunes?), à la Turquie dans l’UE…

Alors que l’immobilisme du gouvernement danois commence à irriter une frange croissante de la population (une majorité de citoyens serait par exemple favorable à une intervention sur les préretraites), de plus en plus consciente de l’ampleur des sacrifices nécessaires à la préservation du niveau de vie actuel, une partie des Français est dans la rue pour la conservation “d’acquis” qui n’existent déjà plus dans des pays ayant un niveau de vie comparable…Avons-nous seulement conscience de ce qui nous attend?

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A quand le retour du manque de main-d’oeuvre au Danemark?

P7161728Comment préparer le pays au retour du manque de main-d’oeuvre à moyen terme dans un contexte toujours marqué par les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés à mettre le pied sur le marché du travail? C’est un des dillemmes auquel le gouvernement danois doit aujourd’hui faire face. Il en va tout simplement de la survie de l’Etat-providence, une fois considéré le fait que la disparition progressive du dispositif de préretraite, mais aussi la réforme de la pension d’invalidité, la maîtrise de la dépense publique ou encore l’éventuelle augmentation de la pression fiscale (qui ne peut être que limitée au vu de son niveau actuel) ne suffiront sans doute pas à assurer la soutenabilité des finances publiques après 2015 (1).

Le plus tôt la population danoise aura saisi l’importance des enjeux, le mieux ce sera. La préparation des prochaines élections générales, qui auront lieu d’ici novembre 2011, constitue une excellente opportunité, parallèlement au travaux du Forum de la Croissance (structure informelle de prospective chargée de formuler des propositions, d’ici le printemps 2011, afin de relancer la croissance), de débattre d’un thème sensible, qui fâche encore une partie des électeurs danois.

Il faut dire que l’immigration est un phénomène récent pour le Danemark et que la réputation du pays dans ce domaine tranche singulièrement avec celle du voisin suédois, en dépit des progrès notables réalisés en termes d’intégration des étrangers sur le marché du travail au cours de ces dernières années. La récente une du quotidien danois Jyllands-Posten (plus grand tirage du pays) résume d’ailleurs bien les enjeux.

imageLes peuples frères divisés sur les étrangers”, Jyllands-Posten, 15 septembre 2010

Il est à ce titre intéressant de rappeler qu’une des explications avancées par le Monde Magazine quant à la place numéro un occupée par le Danemark au classement du bonheur est la cohésion nationale. Un sentiment lié à l’existence d’une “tribu”, les Danois, et qui trouve une traduction politique assez forte depuis quelques années déjà.

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La frilosité du Danemark vis-à-vis des étrangers doit en effet beaucoup à la présence du parti nationaliste au sein de la coalition parlementaire au pouvoir depuis 2001. Les difficultés économiques tendent de plus (ici comme ailleurs!), à mettre les étrangers en première ligne. Le parti nationaliste danois vient par exemple d’exiger, dans le cadre des négociations entourant la Loi de Finances 2011, que les étrangers hors UE ne puissent plus percevoir de revenus de transfert de la part de l’Etat dès lors qu’ils n’ont pas payé d’impôts au Danemark pendant au moins 7 ans…(2).

La plupart des acteurs du monde économique ont néanmoins déjà saisi l’urgence de la situation, bien aidés en cela par diverses études récemment publiées par des groupes de réflexion. AErådet (think-tank rattaché à LO) indiquait par exemple qu’il manquerait 105 000 diplômés de l’enseignement supérieur au pays d’ici 2019 (3). Le renforcement de l’attractivité du pays est ainsi sur toutes les lèvres, les faiblesses du Danemark étant désormais bien identifiées: fiscalité peu favorable (y-compris pour les chercheurs), manque d’écoles internationales, difficultés administratives liées à l’omniprésence d’une langue, le danois, qui peut sembler difficile au premier abord, manque de logements étudiants…

De nombreuses initiatives venant compléter celles en place au niveau du secteur public sont donc en train d’être lancées afin de répondre à un besoin de main d’oeuvre étrangère qualifiée qui pourrait revenir très vite pour certaines professions (secteur de la santé, ingénieurs…). Certaines entreprises privées ont ainsi mis en place un consortium afin de coordonner les efforts dans ce domaine (4). Un projet de construction d’un Campus Universitaire vient également d’être lancé à Copenhague, avec pour objectif de retenir une plus grande partie des quelques 16 000 étudiants étrangers poursuivant chaque année des études dans le pays (5).

Recours accru à la main-d’oeuvre étrangère qualifiée pour préserver le très spécifique modèle danois d’Etat-providence. C’est le paradoxe dans lequel le pays devrait selon toute vraisemblance à nouveau se trouver après l’avant-goût constitué par la période 2006-2008. La première étape passe par le renforcement de son attractivité. Ne soyez donc pas étonnés d’entendre parler un peu plus du Danemark dans les années à venir…

(1) Le taux d’imposition sur le revenu du travail était de 48,3% en 2008. Il a depuis été abaissé, mais reste le plus élevé du monde.

(2) http://politiken.dk/politik/1060676/df-nul-ydelser-til-indvandrere-i-syv-aar/

(3) www.ae.dk/files/AE_okonomiske-tendenser-2009.pdf page 68.

(4) Consortium for Global Talent www.investindk.com/visNyhed.asp?artikelID=23515

(5) ThinkTankTalent www.thinktanktalents.dk/ThinkTankTalents/CPH_Campus.html

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Le Danemark et la rigueur

P1010001Dans le cadre de l’effort de redressement des finances publiques mené actuellement dans de nombreux pays européens, le Danemark vient de franchir une première étape. La perspective d’un retour du déficit budgétaire sous la barre des 3% en 2013 n’est en effet qu’un objectif secondaire. Si la dette publique a pu être divisée par deux entre 2001 et 2007, c’est parce que les Danois ne se sont jamais contentés de respecter les critères en vigueur au sein de l’UE. Le véritable objectif est ainsi de ramener le solde structurel à l’équilibre en 2015 et de sauvegarder le niveau actuel d’Etat-providence. Parmi les mesures aujourd’hui annoncées, qui viennent s’ajouter au principe de croissance réelle nulle de la consommation publique au cours de la période 2011-2013 (1):

– La réduction de 4 à 2 ans de la durée de perception des allocations chômage à compter du 1er juillet 2010.

– Le report au 1er janvier 2014 d’une partie des baisses d’impôt accordées aux plus hauts revenus dans le cadre de la réforme de la fiscalité (“paquet de printemps 2.0”) entrée en vigueur au 1er janvier 2010.

– Le plafonnement des allocations familiales à 4700 euros par an à compter du 1er janvier 2011 et la baisse de leur montant de 5% d’ici 2013.

– Le gel du montant consacré à l’aide au développement sur la période 2011-2013.

– Le plafonnement à 400 euros de la déductibilité du revenu imposable de la cotisation d’adhésion à une organisation syndicale.

En débat depuis déjà quelques mois, la réduction de la durée de perception des allocations chômage est permise par l’amélioration des perspectives entourant le marché de l’emploi (taux de chômage officiel de 4,1% en avril). Elle répond de plus à la priorité numéro un de l’économie danoise: l’expansion du marché du travail. La mesure est toutefois critiquée car adoptée sans concertation avec les partenaires sociaux. Elle pourrait de plus décourager certains de s’assurer contre le chômage, la cotisation versée à une caisse d’assurance-chômage (600 euros par an en moyenne) voyant en effet son montant inchangé pour une durée d’indemnisation qui devient donc deux fois moins longue.

Une bonne partie de la population danoise contribue à l’effort de redressement des finances publiques: demandeurs d’emploi, familles, revenus les plus élevés…A l’exception notable des retraités.

Ce plan ne semble pas être de nature à remettre en cause le redémarrage de l’économie (croissance du PIB de 0,6% au 1er trimestre). La plupart des indicateurs sont en effet revenus au vert: taux de chômage, exportations (+10% entre février et mars) consommation et confiance des ménages (à son niveau le plus élevé depuis la fin 2007)…Le gouvernement danois peut désormais se consacrer entièrement à la traduction concrète des réflexions menées dans le cadre du Forum de la Croissance, structure informelle de prospective ayant pour but de mettre un terme au glissement relatif du pays dans les classements internationaux, et d’adapter le modèle danois aux défis à venir.

Et la rigueur en France? Plutôt que de s’engager sur l’élaboration de plans de prospective permettant une certaine continuité dans l’engagement de réduire les déficits publics (plans non juridiquement non-contraignants mais repris par l’opposition en cas d’alternance), notre pays privilégie aujourd’hui la voie de l’inscription dans la constitution d’une règle budgétaire certes contraignante, mais qui n’empêcherait en rien un gouvernement de viser un déficit budgétaire en fin de législature (2). Le choix entre les deux formules est pourtant évident…

(1) http://fm.dk/Publikationer/2010/Aftale%20om%20genopretning%20af%20dansk%20oekonomi.aspx

(2) http://blogs.lesechos.fr/article.php?id_article=4010

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Les femmes sur le marché du travail danois

SPM_A1294Bien que la croissance soit repartie dans nos deux pays (+0,3% en France et +0,6% au Danemark au 3ème trimestre 2009), la crise continuera de peser de tout son poids au cours de l’année 2010, obligeant nos gouvernements respectifs à prendre des mesures visant à lutter contre la hausse du chômage et celle des déficits (1). Au vu de l’ampleur de la tâche qui nous attend dans ces deux domaines, le principal défi, en France comme au Danemark, sera donc de parvenir à rester concentré sur les autres problématiques susceptibles de déterminer, à plus long terme, la prospérité de nos deux nations. Parmi ces problématiques figurent en bonne place la reconversion de la majeure partie des activités de nos industries dans les technologies vertes et le développement de la coopération économique avec l’Asie, et notamment avec la Chine.

Concernant le secteur des technologies vertes, le Danemark a déjà fait ses preuves, puisque les exportations de ces dernières représentaient déjà 3,5% du PIB en 2008, un chiffre plaçant le pays loin devant tous les autres (2). La situation est plus contrastée en termes de coopération avec l’Asie, mais il semble que le retard relatif du Danemark dans ce domaine soit dans une large mesure en passe d’être rattrapé, notamment depuis la présentation de la stratégie Chine en février 2008 (3).

Mais un autre domaine déterminant dans le cadre de l’exacerbation de la compétition au niveau mondial est la place accordée aux femmes sur le marché du travail. D’une manière générale, le Danemark est dans ce domaine souvent distancé par les autres pays nordiques mais dispose d’une longueur d’avance appréciable par rapport à la France. Un simple coup d’oeil au taux d’emploi prévalant dans nos deux pays suffit à s’en convaincre: 75% au Danemark contre 60% en France, avec un écart un peu plus marqué entre hommes et femmes dans notre pays (4). Au Danemark, le taux d’emploi des femmes d’origine étrangère est certes moins élevé (53,5% en 2008) mais reste supérieur à celui de l’ensemble des femmes en Italie…(5).

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La présence massive des femmes sur le marché du travail danois est avant tout à relier au modèle de flexicurité. La pérennité de son financement requiert en effet un taux d’emploi élevé au niveau national. La Banque Centrale Danoise avançait ainsi que les dépenses liées à la flexicurité représentaient 4,26% du PIB danois en 2006 (6). Les avantages négociés dans le cadre des conventions collectives sont également un facteur permettant d’expliquer cette forte présence. Les congés maternités sont par exemple de 29 semaines dans le privé et de 38 semaines dans le public, soit beaucoup plus que le minimum garanti depuis peu au niveau de l’UE (18 semaines). Un minimum que la France ne parvient à dépasser de manière significative qu’à partir du troisième enfant (26 semaines)…La diffusion du télétravail tend également à renforcer cette présence, même si les hommes semblent en bénéficier davantage que les femmes.

Il est vrai que d’énormes progrès peuvent encore être réalisés au Danemark lorsque l’on dépasse le seul thème du taux d’emploi des femmes. Le mouvement de grève ayant émaillé la renégociation des conventions collectives encadrant le secteur public au printemps 2008 a débouché sur l’instauration d’une commission sur les salaires chargée, au cours de l’année 2010, d’examiner les écarts de salaire entre les deux sexes. Selon SFI (Danish Social Research Centre), ces écarts sont restées stables tout au long de la période 1997-2006 et ne peuvent être expliqués qu’à hauteur de 70-80% (différences dans les postes occupés et différences de temps de travail). Les hommes gagneraient ainsi entre 17 et 21% de plus que les femmes (7). D’où le lancement par le Ministère de l’Emploi d’une page internet, www.ligelon.dk, destinée à identifier les meilleures pratiques en la matière au sein des entreprises danoises et à informer sur la situation des hommes et des femmes sur le marché du travail (8).

Qui dit inégalités salariales sur le marché du travail dit inégalités en termes de retraite. De manière surprenante, les différences dans le montant des versements effectués au titre de la retraite se sont mêmes creusées entre 2001 et 2006 si l’on en croit ATP, le plus grand fonds de pension du pays, chargé notamment de gérer la retraite complémentaire des Danois (9).

Enfin, s’il est un thème à propos duquel le Danemark se voit distancé par l’ensemble de ses voisins nordiques, c’est bien celui de la présence des femmes aux postes de direction des grandes entreprises et au sein des conseils d’administration. Les dernières données disponibles indiquent toutefois une amélioration marquante de la situation: 28% des postes clés sont désormais occupés par des femmes (10). On se rapproche donc petit à petit de l’influence dont dispose aujourd’hui les femmes au sein du monde politique (38% des sièges au Folketing). Une évolution qui a été renforcée par la signature, en mars 2008, d’une charte appelant à la hausse du nombre de femmes occupant des postes de direction. Cette charte, résultat de la coopération entre le ministère des Affaires Sociales et de l’Egalité des Droits, cinq entreprises du privé et cinq organisations du public, a constitué le début d’une campagne visant à rassembler au moins une centaine d’entreprises en 2010. Un site internet lui est consacré: www.kvinderiledelse.dk

Concernant la présence des femmes au sein des conseils d’administration, l’exemple est donné par la Norvège, qui a imposé un quota de 40%. Un exemple sans doute à suivre, quoiqu’avec un peu plus de souplesse, l’expérience ayant montré que ce niveau s’est révélé quelque peu excessif…

Nul doute que la forte proportion d’étudiantes au sein de l’enseignement supérieur (plus de 60%) contribuera à renforcer le mouvement. Persister à exclure les femmes des postes stratégiques revient à ne voir le monde que d’un seul oeil. Et pourtant le thème de la parité est une autre révolution que la France est loin de mener…

(1) Le taux de chômage atteignait au Danemark 4,4% au mois de novembre 2009 (7,2% selon Eurostat), contre 10% en France (également selon Eurostat). Le déficit budgétaire attendu pour 2010 est de 5% au Danemark contre 8% en France.

(2) WWF, 11 décembre 2009 http://www.wwf.dk/dk/Menu/Nyheder/Danmark+i+front+med+gr%C3%B8n+teknologi

(3) http://vtu.dk/site/forside/publikationer/2008/strategi-for-vidensamarbejde-mellem-danmark-og-kina

(4) Les graphiques sont tirés d’un article de The Economist, “Female power”, 30 décembre 2009 http://www.economist.com/displaystory.cfm?story_id=15174418

(5) Danmarks Statistik http://www.statistikbanken.dk/statbank5a/default.asp?w=1280

(6) “Flexicurity – Den danske arbejdsmarkeds – model” Danmarks Nationalbank kvartaloversigt, quatrième trimestre 2007 http://www.nationalbanken.dk/C1256BE2005737D3/side/Kvartalsoversigt_2007_4_kvartal/$file/kap04.htm

(7) “Lønforskelle mellem mænd og kvinder 1997-2006” SFI http://www.sfi.dk/Default.aspx?ID=4820

(8) “Kvinder og mænd på arbjedsmarked i 2008http://www.ligelon.dk/sw2188.asp

(9) “Stigende forskel mellem kønnenes pensionsindbetalinger: mænds pensionsforspring vokser” ATP Faktum, numéro 60, septembre 2008 http://www.atp.dk/X5/wps/wcm/connect/ATP/atp.dk/om/omatp/press/Nyhedsbrev/Nyhedsbrev-faktum

(10) “Flere kvinder vælger et job som topleder” Berlingske Tidende, 23 juin 2009 http://www.ruc.dk/ruc/presseklip/alle/95a4f43c-1a6d-4d10-ba80-7b0be9715f29/

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Chroniques franco-danoises de la « sortie » de crise

SPM_A0623Aux divergences constatées entre la France et le Danemark dans la gestion des volets financiers et surtout économiques de la crise on pourra toujours objecter que les caractéristiques intrinsèques de nos deux économies n’étaient et ne sont toujours pas les mêmes. Par exemple, si la France a mieux résisté à la crise en termes de recul du PIB, elle le doit non pas aux mesures de relance qui ont été prises, d’une ampleur comparativement moins importantes qu’au Danemark, mais à sa moindre ouverture sur l’extérieur. De même, l’accent mis par les autorités danoises sur le soutien direct aux ménages a été dicté par leur endettement par comparaison plus important, d’où la nécessité d’attendre l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2010, de la réforme de la fiscalité pour assister à un début de redémarrage de la consommation, et par là-même de la croissance, qui pourrait atteindre 1,5% l’année prochaine (1).

La réponse à apporter à la désormais incontournable problématique de l’endettement, dont l’importance s’accentue du fait de la contraction de l’activité et des mesures de relance prises par nos gouvernements respectifs, peut également être différentielle (réformes structurelles, baisse des dépenses, augmentation des prélèvements obligatoires…), mais dans une moindre mesure. Les critères du Pacte de Stabilité et de Croissance exigent en effet de faire rapidement de la soutenabilité des finances publiques la priorité numéro un. Or, sur ce thème précis, les divergences entre la France et le Danemark semblent bien avoir pris une nouvelle dimension après la “mise en bouche” constituée par l’adoption dans notre pays de la TVA réduite pour le secteur de la restauration, catégoriquement refusée par le Danemark.

La problématique de l’endettement au Danemark (déficit budgétaire de 5% et dette publique de 42% du PIB en 2010)

Avant la crise, la commission sur l’emploi estimait le manque de financement de l’Etat-providence à environ 2 milliards d’euros par an. La dégradation de la situation économique tend évidemment à accroître ce montant, qui selon une étude publiée récemment pourrait en réalité atteindre jusqu’à 5,4 milliards d’euros en raison de la hausse anticipée des dépenses de santé (2). Afin d’assurer la soutenabilité des finances publiques, il est probable que le pays ait recours à moyen terme à un savant dosage entre les options “classiques” à sa disposition:

– Réduction des dépenses de l’Etat, en impliquant davantage le citoyen dans le secteur de la santé, comme recommandé récemment par le Conseil des Sages (3).

Augmentation des prélèvements obligatoires. Une option soutenue par les partis d’opposition et qui trouve un certain écho auprès des Danois, qui semblent donc avoir pleinement conscience des sacrifices nécessaires au mantien de leur bien-être (4).

– Adoption de réformes structurelles (à l’exception probable de tout modification de l’accord de 2006 sur le dispositif de préretraite), mais sans doute pas avant les prochaines élections, programmées à l’automne 2011.

Le dosage reste donc à déterminer entre ces trois options mais une chose est d’ores et déjà certaine, au-delà du refus en bloc de considérer toute idée d’emprunt national: le Danemark ne réduira pas les effectifs du secteur public, qui n’ont pas cessé d’augmenter depuis le début de la crise (de 818 000 à 836 000), absorbant ainsi 20% des licenciements intervenus dans le secteur privé depuis la même date (5). Une évolution qui ne doit pas être une source d’inspiration pour la France, incapable de réduire, avant une époque récente, les effectifs au service de  l’Etat, malgré un processus de décentralisation vieux de près de 30 ans.

Mais une évolution  qui n’a pas que des inconvénients, surtout donc en période de crise, un fait notamment souligné la presse anglo-saxonne (6). Le secteur public danois accueille désormais 30% du total de la main-d’oeuvre, ce qui ne l’empêche pas d’être compétitif. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les technologies de l’Etat-providence, dont le développement repose aujourd’hui essentiellement sur des partenariats public-privés, ont été inclues dans le “paquet entreprises” présenté en août dernier, dont l’objectif est d’aider les entreprises exportatrices à faire face à la contraction du crédit résultant de la crise (7).

La problématique de l’endettement en France (déficit budgétaire de 8,5% et dette publique de 84% du PIB en 2010)

Aucun débat dans notre pays sur la manière de revenir à l’équilibre budgétaire et d’assurer le financement de notre “modèle” social. Les chiffres sont pourtant édifiants: les intérêts de la dette dépassent déjà les 40 milliards d’euros (2% du PIB), soit 20% du budget de l’Etat. Le déficit budgétaire attendu pour 2009 est tel qu’il représente plus de la moitié des recettes de l’Etat (8). Autant dire, en ayant à l’esprit qu’aucun budget n’a été voté à l’équilibre depuis plus de trente ans, que l’endettement est devenue une composante de cette identité nationale mouvante que le gouvernement actuel entend pourtant “fixer” pour de basses visées électoralistes

Mais rassurons-nous: face à la réduction constante des marges de manoeuvre de nos gouvernements, une solution a été trouvée: le grand emprunt. Ce dernier permettra de financer des dépenses d’investissement susceptibles de stimuler la croissance de demain et donc de rendre plus rapide la réduction des déficits et de la dette publique…En réalité une fuite en avant lorsque certaines des fonctions régaliennes les plus essentielles ne sont d’ores et déjà plus assurées. Les projecteurs mis cet été sur l’état de nos prisons en offre un premier exemple. Un deuxième exemple a été fourni la semaine dernière par le journal danois Berlingske Tidende, qui reprenait les éléments d’un article publié auparavant dans Le Parisien: le système de bourses étant ce qu’il est, un nombre croissant d’étudiantes ont recours à la prostitution pour financer leurs études (9). Un système de bourses qui explique également au moins en partie la baisse du nombre d’étudiants bénéficiant du programme d’échange Erasmus (10).

Les seuls intérêts de la dette devant atteindre 42,4 milliards d’euros en 2010, puis croître de 4 milliards d’euros par an (dixit Eric Woerth, le ministre du budget) par la suite (en ne tenant pas compte de l’emprunt national!), la réduction du nombre de fonctionnaires, présentée avec insistance comme une preuve de la vertu budgétaire du gouvernement, est certes bienvenue mais ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de nos déficits. Or, pour avoir une chance de réussir, le grand emprunt doit être accompagné par une réduction d’un montant au moins équivalent des dépenses. Un objectif que la réforme à venir des collectivités territoriales ne contribuera par exemple sans doute jamais à atteindre, puisqu’aucun échelon administratif ne sera supprimé.

La situation actuelle exige de prendre dès maintenant des décisions drastiques. Si le Danemark peut se payer le luxe d’un secteur public rassemblant 30% du total de la main-d’oeuvre, il le doit, en plus de la compétitivité qui résulte de sa spécialisation sur les technologies de l’Etat-providence, aux efforts de rationalisation qui découlent de la réforme des collectivités territoriales de 2007 (réduction du nombre de communes de 271 à 98 et remplacement des 14 comtés par 5 régions). Les élections municipales du mois de novembre donnent même lieu à un débat sur l’éventualité de supprimer les régions, une option qui semble être soutenue par la population (11).

La publication récente des prévisions de la Commission Européenne vient contredire de la plus évidente des manières les propos rassurants quant au niveau comparativement acceptable de l’endettement de notre pays: le déficit budgétaire attendu pour 2010 place la France à la 21ème place sur 27 (12). Dans ce contexte, et à la lumière des points développés précédemment, s’engager comme vient de le faire notre Premier Ministre, à ramener le déficit budgétaire sous la barre des 3% en 2014 et à l’équilibre en 2016 ne tient pas un instant la route. La politique du déséquilibre a de beaux jours devant elle, l’emprunt national permettant à l’UMP de jouer dans le camp d’un PS dépassé, les promesses d’une réélection en 2012 attirant par ailleurs certains de ceux qui faisaient, encore en 2007, de l’équilibre des finances publiques la priorité…

La suite est connue d’avance. Les jeunes générations n’en sont pas dupes, comme le révèlent les résultats d’un sondage indiquant que seuls 20% des jeunes français ont confiance en l’avenir, contre 60% au Danemark (13). Quoi de plus normal lorsque les seules perspectives résultant de cet endettement sont la contraction des opportunités de croissance, la poursuite du chômage de masse et, au final, la fuite des cerveaux…

(1) Ministère des Finances, konjunkturstatus, octobre 2009 http://www.fm.dk/Nyheder/Pressemeddelelser/2009/10/

(2) http://www.catinet.dk/Nyheder/tabid/158/smid/1242/ArticleID/2070/language/en-GB/Default.aspx (prévisions DREAM).

(3) Rapport du Conseil des Sages, 22 octobre 2009 http://www.dors.dk/sw7007.asp

(4) “Mange vil betale mere i skat” Jyllands-Posten, 15 octobre 2009 http://jp.dk/indland/article1852937.ece

(5) “Offentlig jobhamstring presser privat erhvervsliv” CEPOS, 2 novembre 2009 http://www.cepos.dk/publikationer/analyser-notater/analysesingle/artikel/store-finanspolitiske-udfordringer-efter-krisen-copy-1/

(6) “Why Scandinavia can teach us a thing or two about surviving a recession”, The Guardian, 5 août 2009 http://www.guardian.co.uk/society/joepublic/2009/aug/05/scandinavia-recession-welfare-state

(7) Danmarks Vækstråd (The Danish Growth Council) http://www.danmarksvaekstraad.dk/tema/141059

(8) “Un budget abracadabrantesque”, Jacques Marseille, Le Point, 20 octobre 2009 http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2009-10-20/un-budget-abracadabrantesque-par-jacques-marseille/989/0/387241

(9) “Franske studerende tyr til nødhjælp og prostitution”, Berlingske Tidende, 27 octobre 2009 http://www.berlingske.dk/verden/franske-studerende-tyr-til-noedhjaelp-og-prostitution

(10) “Universités: les programme Erasmus s’essouffle”, Le Figaro, 4 novembre 2009 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/11/04/01016-20091104ARTFIG00741-universites-le-programme-erasmus-s-essouffle-.php

(11) “Flertal vil afskaffe regionerne”, Berlingske Tidende, 4 novembre 2009 http://www.berlingske.dk/danmark/flertal-vil-afskaffe-regionerne

(12) http://ec.europa.eu/news/economy/091103_fr.htm

(13) “60% des jeunes danois ont confiance dans l’avenir” La Croix, 27 octobre 2009 http://www.la-croix.com/60-pour-cent-jeunes-Danois-ont-confiance-dans-l-avenir/article/2399126/55351

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TVA sociale: le cas danois

SPM_A0024La décision, annoncée par le locataire actuel de l’Elysée lors de la réunion du Congrès du 22 juin, de recourir à un emprunt national est lourde de conséquence. Elle reflète le décalage de plus en plus flagrant entre le discours de la majorité actuelle et la réalité de ses actes. « Moi, je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite. Je suis à la tête d’un État en déficit chronique. Je suis à la tête d’un État qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Moi, je dois ramener l’équilibre à la fin du quinquennat, sinon on ne bâtira plus rien » déclarait en 2007 François Fillon (1). De même, Nicolas Sarkozy appelait encore récemment à une concertation plus étroite au niveau européen afin de lutter contre la crise. Pour finalement prendre l’exact contre-pied de la politique suivie par une Allemagne déterminée à mettre de l’ordre dans ses finances publiques (2).

Il est très difficile de penser que le recours à cette mesure ne serve en fait qu’à dégager des marges de manœuvre utiles dans la perspective des présidentielles de 2012…La raison est qu’il faudra bien un jour stopper cette spirale de l’endettement : les banques ont prêté avec démesure, contraignant l’Etat, pourtant déjà lourdement endetté, à leur prêter à son tour, et c’est désormais le particulier français, prêtant déjà à EDF, qui vient boucler la boucle !

On avance souvent l’exemple du Japon, dont la dette publique dépasse les 200% du PIB, pour minimiser l’impact de l’endettement croissant de notre pays. Mais sans jamais se poser la question de savoir à partir de quel seuil d’endettement les marges de croissance se réduisent. L’économie japonaise n’est-elle pas en quasi-stagnation depuis les années 90 ?

Constatant la dégradation des comptes publics, Philippe Séguin, Président de la Cour des Comptes, jugeait cette semaine « trompeuse » la perception selon laquelle « « la France s’en tirerait mieux » que ses voisins, ajoutant que « les lendemains risquent d’y être pire qu’ailleurs » (3). Raison de plus pour faire du concept de dette soutenable une priorité…Car il existe une alternative à la « fuite en avant » proposée aujourd’hui par la tête de l’exécutif : conjointement à l’adoption d’une ambitieuse réforme des collectivités locales, susceptible de freiner les dépenses publiques, la refonte intégrale du système fiscal, refonte passant notamment par l’introduction de la TVA sociale.

Le seul véritable exemple de TVA sociale est offert par le Danemark, puisque l’Allemagne a finalement affecté les 2/3 du relèvement de 3 points (de 16 à 19%) du taux de TVA intervenu au 1er janvier 2007 à la réduction de son déficit budgétaire.

Le cas danois, constitué par le relèvement, en 1987, de trois points (de 22 à 25%) du taux de TVA moyennant la quasi-suppression des charges sociales pesant sur les entreprises, doit être analysé en prenant compte des particularités suivantes :

– Le contexte économique spécifique de 1987. L’introduction de la TVA sociale s’inscrivait dans le cadre d’une politique, initiée en 1986 (« kartoffelkur »), visant à refroidir la demande intérieure et à rétablir l’équilibre de la balance des paiements (4). La quasi suppression des charges sociales pesant sur les entreprises a donc été accompagnée par toute une série de mesures (freinage de la dépense publique, réduction du taux applicable à la déductibilité des intérêts d’emprunts, réduction de la durée de perception des allocations chômage…).

– La philosophie du système fiscal danois, dont notre pays est contraint de suivre certaines des caractéristiques avant toute introduction de la TVA sociale. Parmi elles, le rôle redistributif prépondérant joué par l’impôt sur le revenu, première source incontestée de recettes pour l’Etat danois, et le nombre très limité de niches fiscales. Rappelons également la suppression (par les socio-démocrates !) de l’ISF en 1997, impôt jugé inefficace…

Répartition attendue des recettes fiscales en 2010 (Ministère des Impôts)

Impôt sur le revenu: 52%, TVA: 23%

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– La manière dont est perçue la TVA. Son caractère proportionnel et uniforme (il existe très peu d’exemptions au taux de 25%) est accepté par la population tant que l’impôt sur le revenu occupe la première place en termes de redistribution.

– L’introduction de la TVA sociale est allée de pair avec l’engagement pris par les syndicats de modération des revendications salariales au cours des années qui ont suivi. En dépit de la quasi-suppression des charges sociales pesant sur les entreprises, le coût du travail est en effet depuis longtemps plus élevé au Danemark en raison du niveau des salaires.

L’héritage de Poul Schlüter, Premier Ministre danois de 1982 à 1993, est controversé. Suite à la « kartoffelkur », la balance des paiements est redevenue positive en 1990, pour la première fois depuis plus de 20 ans. Le taux d’inflation, qui excédait 10% en 1982, fut divisé par cinq dix ans après. Le déficit budgétaire fut quant à lui ramené de 9,1 à 2,6% sur la même période. Afin d’éviter l’emballement de l’économie, l’objectif de refroidissement la demande interne a toutefois conduit à une forte poussée du chômage, dont le pic fut atteint en 1993 (12,4%), qui a à son tour contribué au creusement de la dette publique, cette dernière dépassant à la même date la barre de 80% du PIB.

Il existe toutefois aujourd’hui un relatif consensus au Danemark sur le fait que les résultats obtenus par la suite, tant en termes de chômage (baisse de 12,4 à 5,2% du taux de chômage sous l’ère Poul Nyrup Rasmussen entre 1993 et 2001, atteinte du plein emploi sous l’ère Anders Fogh Rasmussen) qu’en termes de réduction de la dette publique (27% du PIB fin 2007), n’auraient pu être atteints sans la résolution préalable des problèmes rencontrés en termes de compétitivité. De nombreux économistes indiquent également que les effets collatéraux d’une telle réforme auraient été plus limités si elle avait été mise en oeuvre plus tôt.

De l’introduction de la TVA sociale, réalisée dans un contexte spécifique mais dont certains des éléments ne vont pas sans rappeler la situation économique prévalant aujourd’hui dans notre pays (déséquilibre des comptes extérieurs et des comptes publics), peuvent être tirés les constats suivants:

1) La compétitivité des entreprises danoises n’a jamais été démentie depuis son introduction, malgré le niveau élevé des salaires. Sur l’année 2007, le coût du travail moyen dans le secteur privé était de 36 euros par heure. Seulement 4% de ce montant était constitué de charges hors salaire (5). Les exportations représentaient avant la crise 35% du PIB, le pays affichant des excédents commerciaux et des excédents de la balance des paiements réguliers.

Evolution du solde de la balance des paiements

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Evolution du solde de la balance commerciale (Danmarks Statistik)

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2) L’introduction de la TVA sociale a permis de mener une réflexion plus large sur la manière de développer la compétitivité des entreprises. Il convient en effet une nouvelle fois de souligner que l’adaptation aux défis posés par la mondialisation est également passée par l’approfondissement de la politique de formation continue, condition indispensable de la spécialisation de la main d’œuvre sur des productions à plus haute valeur ajoutée.

3) D’autre part, l’introduction de la TVA sociale a eu le mérite de clarifier le débat sur les délocalisations. Elle permet donc, dans une certaine mesure, d’expliquer le pragmatisme danois sur un thème toujours très sensible dans notre pays, puisqu’elle a débouché sur la quasi-suppression de toute distorsion fiscale dans le coût de production entre les biens produits au Danemark et ceux produits à l’étranger.

4) L’introduction de la TVA sociale a été suivie, à partir du milieu des années 90, par une remarquable série d’excédents budgétaires que seule la crise actuelle est venue remettre en cause.

Evolution du solde public (Ministère des Finances)

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Pour résumer, le principe de TVA sociale ne peut être mis en oeuvre dans notre pays sans une réforme préalable du système fiscal, qui doit intégrer davantage d’éléments de justice sociale, et sans le lancement d’une politique globale en faveur de la compétitivité. Ajoutons qu’une coordination au niveau européen serait bien évidemment souhaitable. Jean Arthuis avance par exemple que la TVA sociale aurait le mérite de mettre un terme au débat sur le projet de Directive Européenne sur les services (6). Ouvrons également les yeux sur notre niveau d’endettement, qui nous contraint à financer notre protection sociale par des produits et services conçus à l’étranger…Rappelons enfin qu’il s’agit de réduire les charges pesant sur les entreprises, pas  de parvenir, comme au Danemark, à leur quasi-suppression.

Creuser davantage les déficits en affirmant que chaque euro d’endettement supplémentaire sera affecté à des priorités nationales, c’est reconnaître implicitement que la dérive des finances publiques n’a été jusqu’ici que le résultat d’un immense gâchis…Certes, la TVA sociale pourrait momentanément ralentir la consommation. Mais comme l’affirmait cette semaine Philippe Séguin, une dégradation encore plus marquée des comptes publics expose la France à plusieurs risques dont “un risque économique” marqué par la remontée du taux d’épargne des ménages.

Le Danemark a souvent eu recours à l’arme fiscale en temps de crise. En 1987, en instaurant la TVA sociale, ou encore aujourd’hui, à travers la réforme adoptée dans le cadre du “paquet de printemps 2.0”, qui débouche sur des changements d’une ampleur inégalée. Qu’est-ce qui nous empêche de faire de même?

(1) « Requinqué, Fillon s’offre une journée en Corse » Le Figaro, 22 septembre 2007 http://www.lefigaro.fr/politique/20070922.FIG000000937_requinque_fillon_s_offre_une_journee_en_corse.html

(2) « L’Europe divisée sur les hausses d’impôt » le Figaro, 26 juin 2009 http://www.lefigaro.fr/impots/2009/06/26/05003-20090626ARTFIG00253-l-europe-divisee-sur-les-hausses-d-impots-.php

(3) « La Cour des Comptes s’inquiète du risque d’emballement de la dette », Le Monde, 24 juin 2009 http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/06/24/la-cour-des-comptes-s-inquiete-du-risque-d-emballement-de-la-dette_1210595_3234.html#xtor=RSS-3208 Philippe Séguin précise par ailleurs que la France est le quatrième Etat le plus endetté de la zone euro et que ses dépenses publiques (plus de 52% du PIB) sont supérieures de 9 points à celles de l’Allemagne.

(4) Outre le fort déficit de la balance des paiements, l’économie danoise était caractérisée en 1986 par un taux de croissance proche de 5% et une consommation privée en hausse de 5,6%.

(5) Donnée Danmark Statistiks http://www.dst.dk/pukora/epub/Nyt/2008/NR480.pdf Les employeurs contribuent de plus au système de retraite complémentaire professionnelle (dispositifs de retraite apparus dans le cadre de conventions collectives couvrant 85% du marché du travail danois). Le montant versé chaque mois, dont les 2/3 sont à la charge de l’employeur, peut être considéré comme un élément de salaire différé. Le montant à la charge de l’employeur est variable mais équivaut en moyenne à 10% du salaire. Il faut également noter que les entreprises danoises ne contribuent pas au financement du système d’assurance-chômage.

(6) “TVA sociale et plombier polonais” http://www.jeanarthuis-blog.fr/index.php?sujet_id=2588

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Le Danemark bientôt dans la zone euro?

CPH Xmas 08 (3)

Un référendum en 2010. C’est aujourd’hui l’hypothèse la plus probable suite au lancement, le 22 janvier, des consultations entourant une éventuelle adoption de l’euro par le Danemark. Des consultations précédées d’une conférence au Folketing à laquelle a pris part notre ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Christine Lagarde.

S’exprimant dans un anglais impeccable (si seulement tous nos dirigeants en percevaient l’utilité…), Christine Lagarde invitait les Danois a adopter la monnaie unique, s’associant ainsi au souhait du Premier Ministre, Anders Fogh Rasmussen, de la plupart des formations politiques, du Directeur de la Banque Centrale, Nils Bernstein, des représentants du monde des affaires et, si l’on en croit les derniers sondages, d’une majorité de la population, d’inverser les résultats du référendum de septembre 2000 (53% des Danois avaient alors voté contre le passage à l’euro).

Deux arguments de poids sont aujourd’hui avancés pour justifier l’abandon de la couronne danoise. En premier lieu, l’arrimage de cette dernière à l’euro (bande de +/- 2,25%) a un coût indéniable en période de turbulence: la Banque Centrale danoise a en effet été contrainte d’augmenter ses taux jusqu’à 5,5% à l’automne dernier face aux attaques spéculatives dont a fait l’objet la monnaie danoise. 5,5% soit un spread de 175 de base avec le taux pratiqué par la BCE au même moment. Certes, cet écart n’est aujourd’hui plus que de 100 pts de base (3% contre 2), mais il n’empêche que les taux d’intérêts sont toujours trop élevés au vu du contexte actuel, pénalisant ainsi des ménages d’ores et déjà bien endettés…Deuxième argument, le fait que le Danemark se prive d’une certaine influence politique en restant exclu de l’Eurogroupe, organe au sein duquel sont prises de plus en plus d’orientations importantes.

Pourquoi donc attendre 2010 pour proposer un tel référendum? Parce que le Premier Ministre danois entend tenir compte des erreurs du passé, souhaitant le soutien le plus large possible de la classe politique. S’il n’a rien à espérer du parti nationaliste (DF) de Pia Kjærsgaard, farouchement opposé à tout débat sur la question, des signes d’ouverture ont été récemment donnés par le leader du parti socialiste, Villy Søvndal (SF).

Il s’agit donc pour le Premier Ministre de débattre et de convaincre afin d’éviter une alliance entre les deux personnalités les plus influentes de la vie politique danoise de ces dernières années. Or, le parti socialiste n’entend pas relier crise économique et débat sur l’euro: sous-entendu, pas de référendum avant la fin de la crise actuelle et surtout pas de prise de position en faveur de l’euro à moins que ne soient remplies trois conditions: que la monnaie unique devienne un rempart de lutte contre la spéculation, qu’elle permette de mener une politique davantage orientée vers l’emploi et que les décisions prises dans la zone euro tendent vers des investissements significatifs dans le domaine de l’environnement et des technologies vertes.

A ce débat d’ores et déjà bien balisé vont toutefois inévitablement venir s’ajouter d’autres considérations économiques: crainte d’une hausse des prix alors que ces derniers sont déjà supérieurs à la moyenne UE (une hausse des prix officiellement inexistante en France et effectivement inexistante en Slovaquie, dernier venu dans la zone euro), crainte d’un alignement vers le bas d’un l’Etat-Providence danois déjà sous pression…Sans compter les considérations irrationnelles/émotionnelles. Car on l’oublie trop souvent mais les citoyens européens ne sont pas tous des économistes, loin de là…Partierne

Le débat sur l’euro sera bien évidemment l’occasion de parler d’Europe. Une occasion que le Mouvement Démocrate Danemark ne manquera pas de saisir à quelques mois des élections européennes. Parce qu’on prend l’Europe pour donnée alors qu’elle reste largement à construire. Parce que la véritable “politique de civilisation”, c’est l’approfondissement de cette construction. Pas une Union Méditérranéenne superflue dont le seul objectif est d’exclure la Turquie de l’UE alors qu’elle doit y trouver sa place le moment venu (1). Pas un alignement absurde sur un soi-disant “modèle” britannique dont la crise actuelle illustre pourtant plus que jamais le non-sens…Plutôt une commaunauté au sein de laquelle on échange les recettes qui marchent, où on ne se contente pas d’avoir comme seul objectif suprême la stabilité des prix (bref, une Europe sociale et humaniste), où les priorités sont la protection de l’environnement, l’éducation, le défi posé par le vieillissement de la population, l’approfondissement des échanges culturels…(2)

Faute d’une véritable vision, nos dirigeants en sont contraints à l’exercice, toujours aléatoire, de la prévision. A la question de savoir quel modèle s’imposerait après la crise, Henri Guaino, conseiller spécial du Président, répondait la semaine dernière de la manière suivante:

Il y a, comme toujours, plusieurs avenirs possibles. Je crois que le modèle de demain sera moins patrimonial, moins fondé sur la rente, sur l’endettement et davantage sur le travail. Il sera sans doute un peu plus proche du modèle des Trente Glorieuses que celui des deux dernières décennies. Il sera aussi plus orienté vers la croissance intérieure que vers la croissance extérieure. Dans le meilleur des cas, la croissance sera plus durable et il y aura moins de déséquilibres dans la mondialisation, moins d’excédents pour les uns, moins de déficit pour les autres. À condition d’arriver à créer les conditions pour que chacun paye le vrai prix du risque et le vrai prix de la rareté. Mais on peut aussi avoir le pire si le chacun pour soi l’emporte, si le protectionnisme triomphe. On peut se réveiller avec des nationalismes économiques agressifs, des guerres commerciales, monétaires, avec, derrière, la montée du populisme. Conjurer ce risque, c’est le grand défi auquel va se trouver confrontée la politique dans les mois et les années à venir” (3).

D’accord pour les risques de protectionnisme, pour le reste, c’est le vide sidéral. Difficile de faire plus langue de bois. ”Moins fondé sur l’endettement”: pas de doute, on en prend le chemin (prévisions de dette publique à 76% du PIB en 2010 pour la France selon la Commission Européenne). “Sans doute un peu plus proche du modèle des Trente Glorieuses”: si l’on sous-entend par là la recherche à tout prix d’une croissance annuelle du PIB de 5%, peut-être n’a t-on pas tiré toutes les enseignements de la crise actuelle…

(1) Voir mon commentaire à l’article “Michel Rocard: oui à l’entrée de la Turquie dans Europe!” Agoravox, 6 novembre 2008 http://www.agoravox.fr/commentaire_static.php3?id_article=46775&id_forum=1892399

(2) Voir l’article édifiant suivant: “La présence culturelle française à l’étranger étranglée par la baisse des crédits”, Le Monde, 23 janvier 2009 http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/01/23/la-presence-culturelle-francaise-a-l-etranger-etranglee-par-la-baisse-des-credits_1145607_3246.html

(3) “Henri Guaino: pourquoi il faut refonder le capitalisme”, Le Figaro, 23 janvier 2009 http://www.lefigaro.fr/politique/2009/01/23/01002-20090123ARTFIG00638-henri-guaino-pourquoi-il-faut-refonder-le-capitalisme-.php

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Etat-providence danois: une révolution silencieuse?

CPH Xmas 08 (6)

Affirmer que l’avenir de l’Etat-providence constitue le débat central traversant aujourd’hui la société danoise serait une exagération. La crise mobilise en effet toutes les énergies au vu d’évolutions et de prévisions de plus en plus négatives.

Après une année 2008 marquée par une croissance proche de 0%, le PIB devrait ainsi reculer de 0,2% en 2009 si l’on en croit les hypothèses, jugées optimistes, du gouvernement. L’excédent budgétaire de 3% constaté en 2008 devrait également disparaître entièrement en 2009. Dans le meilleur des cas, un doublement du taux de chômage est attendu d’ici la fin 2010 (1,9% en novembre 2008). Plus grave, le chapitre crise financière n’est pas terminé, comme l’illustrent les négociations actuelles entourant un second plan d’aide à un secteur bancaire dont l’ampleur des pertes en 2008 pourraient égaler les profits record réalisés l’année précédente.

Restent heureusement quelques évolutions positives comme celle entourant le pouvoir d’achat: sous l’effet des hausses salariales obtenues lors des négociations entourant le renouvellement des conventions collectives (12,8% en moyenne sur la période 2008-2011) et des baisses de l’impôt sur le revenu de 2008 et 2009, le revenu disponible brut des ménages devrait croître sensiblement et pourrait relancer la consommation à partir de 2010 (sans compter la réforme de la fiscalité en préparation). De même, la couronne danoise est stabilisée, une situation qui contraste fortement avec celle rencontrée en Suède et en Norvège.

Pourtant, la question de l’avenir de l’Etat-providence a bien été relancée au cours de la semaine dans la presse danoise. Une nouvelle preuve de la capacité du Danemark à se projeter dans le futur. Car comme l’a justement fait remarquer Anders Fogh Rasmussen, la crise actuelle doit être combattue par des réformes de long terme, dans la mesure où elle nous force à changer le mode de fonctionnement de nos sociétés. Une résolution bien éloignée de la “vision” associée à la nomination d’un ministre de la relance dénué de tout objectif au-delà de 2010 et dont le seul souhait est de nous en mettre plein la vue en assurant que 428 milliards d’€ ont été injectés dans l’économie…(1).

Mais quels sont donc les éléments qui font douter certains de la pérénnité de l’Etat-providence danois, notamment caractérisé par un secteur public rassemblant 28,5% de la main-d’oeuvre totale? (2)

1) 850 000 Danois (sur une population active de près de 2,9 millions) sont désormais couverts par une assurance santé privée (souvent contractée par l’employeur comme avantage) permettant dans certains cas de passer outre les listes d’attente dans les hôpitaux.

2) 13% des enfants allant à l’école primaire poursuivent leur scolarité dans une école privée.

3) 1,1 million de Danois cotisent à un dispositif de retraite privé en plus de celui de retraite complémentaire professionnelle dont ils bénéficient à travers leur emploi.

4) La deuxième phase de la réforme des collectivités territoriales prévoit une réduction du nombre d’hôpitaux.

5) La réforme de la police, initiée début 2007, n’a visiblement pas les effets escomptés, même si le gouvernement avait prévenu que le nouveau mode d’organisation adopté ne donnerait sa pleine mesure qu’à partir de 2011. En attendant, les cas relayés par la presse où le citoyen danois appelle en vain la police, incapable répondre en raison du manque d’effectifs, se multiplient, contraignant le gouvernement, dans le cadre de la loi de finances 2009, à augmenter en urgence les effectifs…

6) Le niveau des allocations chômage, un des piliers du modèle de flexicurité, est de moins en moins généreux (environ 2040€ par mois imposables, soit entre 50 et 60% du salaire moyen).

7) Malgré la crise et l’inévitable remontée du chômage qui va avec, le secteur public a besoin de bras, notamment dans le secteur de la santé.

Les exemples sont nombreux et tendent effectivement à aboutir à la conclusion que l’Etat-providence danois est en danger, malgré les quelque 6 milliards d’€ supplémentaires de consommation publique constatés depuis l’arrivée du libéral Anders Fogh Rasmussen au pouvoir en 2001. On peut en tous les cas remarquer que le gouvernement danois s’est efforcé au cours des dernières années de promouvoir le concept du libre choix afin de faire face au renforcement des attentes des citoyens, un renforcement des attentes découlant de la hausse du niveau de vie.

Mais l’affaiblissement de l’Etat-providence danois ne s’arrête pas là: pour relancer l’économie, le gouvernement compte en effet poursuivre l’allègement de l’imposition des revenus issus du travail. Un objectif nécessaire au vu record mondial détenu en termes d’imposition marginale (63%!) et au vu du nombre record de Danois se situant dans la tranche d’imposition supérieure (40% de la main-d’oeuvre!), mais qui ne saurait être mené trop loin…

A l’heure où notre secteur hospitalier souffre visiblement de certaines carences (problèmes d’organisation liés à l’introduction des 35 heures, manque de personnel…), que le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter (et parmi eux certains ayant pourtant un emploi…), pour ne citer que ces deux exemples, une réflexion sur le niveau d’Etat-providence que nous souhaitons avoir dans notre pays est incontournable. Une réflexion qui s’inscrit pleinement dans le projet de société humaniste souhaité par le Mouvement Démocrate…

(1) “Devedjan avance un total de 428 milliards d’euros injectés dans l’économie” Le Point, 6 janvier 2009 http://www.lepoint.fr/actualites-politique/devedjian-avance-un-total-de-428-milliards-d-euros-injectes-dans/917/0/304565

(2) Certains d’entre eux sont cités dans l’article suivant: “Dansk velfærd under afvikling”, Berlingske Tidende, 9 janvier 2009 http://www.berlingske.dk/article/20090108/danmark/701080114/

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2009, une année grise

IMG_0211Pas besoin d’être devin pour savoir que l’année 2009 sera, en France comme au Danemark, une année particulièrement difficile. Il importe donc de savoir ce que les responsables politiques ont gardé sous le coude afin de faire face aux perspectives de croissance peu reluisantes qui la caractérisent.

En ce qui concerne le Danemark, la stratégie est simple: faire le dos rond en attendant que les deux commissions sur l’emploi et la fiscalité rendent leurs conclusions courant 2009, avec comme double objectif d’adapter le modèle de flexicurité aux défis contenus dans le plan économie 2015 (notamment le nécessaire accroissement de la main-d’oeuvre) et de réformer l’ensemble de la fiscalité. Ni plus, ni moins. Le tout avec un taux de croissance annoncé de 0,5% pour 2009.

Force est de constater que dans ces deux domaines clés, les pistes de travail dans notre pays semblent beaucoup plus floues, voire quasi inexistantes, (à l’exception de la mise en place de “Pôle Emploi”, agence née de la fusion ANPE/Unedic, dont l’efficacité reste à prouver, ou de la promesse de ne pas augmenter les impôts…). Un vide encore plus inquiétant si l’on prend en compte les récentes déclarations des deux têtes de notre exécutif sur les points suivants:

1) La Loi de Finances 2009

L’optimisme, excessif, des hypothèses contenues dans la Loi de Finances 2008 aurait dû servir d’exemple. Et pourtant…Face aux prévisions de 0,2% de croissance émises par le FMI pour la France en 2009, à la perspective de récession aux Etats-Unis, et aux conséquences, inévitables, de la crise financière sur l’économie réelle, Fillon répondait au cours de la semaine que l’hypothèse initialement retenue dans le projet de Loi de Finances 2009 (1%) était maintenue, car “très, très prudente” (1).

Le motif? “Ce qui compte pour nous, c’est de tenir les dépenses”. “On sera intraitable sur les dépenses” ajoutait-il. Le tout en affirmant par ailleurs ouvertement craindre “une panne de croissance” et “n’être pas sûr de l’atteindre” (l’hypothèse de croissance, en réalité une fourchette de 1 à 1,5%) (2). Des déclarations qui appellent une remarque: le fait de négliger, en formulant une hypothèse de croissance qui pourrait s’avérer cinq à sept fois supérieure à la croissance réelle, la partie “recettes” d’un budget n’est-il pas au moins aussi dangereux que de laisser filer la partie “dépenses”?

2) La réponse concertée de l’UE à la crise économique

Toujours prompt à l’action, comme l’illustre sa volonté de réformer le capitalisme (à quand la suppression des paradis fiscaux?), notre Président s’interrogeait également de la manière suivante: “La crise économique est là. Si l’Europe a su apporter une réponse coordonnée à la crise financière, pourquoi ne ferait-elle pas de même face à la crise économique ?” (3).

Une déclaration étonnante lorsqu’elle débouche sur un appel à une politique de relance que la France ne peut se permettre de mener au vu de l’état de ses finances publiques. Une politique qu’elle aurait soit dit en passant dû pouvoir se permettre de mener si elle avait intégré le sens des critères de Maastricht, adoptés dans l’optique de de mettre tous les pays membres de l’UE à égalité dans ce domaine…

Une déclaration qui se heurte de plus à la cruelle réalité des faits: les disparités constatées, par exemple en termes de finances publiques d’emploi et de fiscalité, font qu’il est toujours impossible de mener une politique concertée d’envergure au niveau européen. Une simple présentation de la situation dans laquelle se trouve le Danemark dans ces trois domaines suffit à montrer qu’une action concertée avec la France, et donc avec les 25 autres pays de l’UE, n’aurait aucun sens:

Etat des finances publiques: solde budgétaire et dette publique (source: Danmarks Statistik)

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Rappelons que la dette publique du Danemark est passée de plus de 80% en 1993 à environ 25% fin 2007 et qu’un excédent budgétaire de 3% est prévu pour 2009, ce qui ouvre la voie à des allègements fiscaux dans le cadre de la commission fiscalité. Notre Président déclarait, fin 2007, que “si l’austérité produisait des résultats, cela se saurait depuis longtemps” (4). Faut-il souligner que la forte “l’austérité” qui prévaut au Danemark depuis 2004  n’a pas empêché l’adoption d’une série de réformes cruciales pour le pays (accord sur l’Etat-Providence, stratégie mondialisation, réforme des collectivtités territoriales, réforme de la qualité dans le secteur public…) et que les recettes pétrolières n’ont jamais dépassé plus de 50% (en 2007) des excédents budgétaires constatés?

Situation de l’emploi: nombre de chômeurs en milliers (source: Danmarks Statistik)

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Concernant la politique de l’emploi menée en France, voir mes deux précédents articles, qui montrent bien qu’il faut être “gonflé” pour appeler à une coordination dans ce domaine:

https://courrierdanemark.wordpress.com/2008/08/15/la-flexicurite-ne-fait-plus-recetteen-france/

https://courrierdanemark.wordpress.com/2008/07/26/offre-raisonnable-demploi-le-danemark-mis-hors-jeu/

Système fiscal: (source: Ministère danois des Impôts)

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En dépit d’une TVA unique à 25%, c’est bien l’impôt sur le revenu qui constitue la principale source de recettes fiscales de l’Etat danois. Outre une imposition sur les revenus du travail plus élevée qu’en France, tous les revenus, y compris ceux de transfert (allocations chômage, retraite d’Etat…) sont en effet soumis à l’imposition (l’ISF à été supprimé en 1997). Une réforme s’impose aujourd’hui dans la mesure où 50% des personnes travaillant à temps plein se situent dans la tranche supérieure d’imposition et que le taux marginal d’imposition est le plus élevé du monde (63%). L’impôt sur les bénéfices des sociétés a quant à lui été abaissé de 28 à 25% en 2007.

En conclusion, pas de politique économique concertée au niveau de l’UE sans une convergence beaucoup plus marquée de nos économies, les critères de Maastricht et les huit principes communs de flexicurité étant visiblement insuffisants…

(1) “Fillon craint une “panne de croissance” en France en 2009”, Les Echos, 15 octobre 2008. http://www.lesechos.fr/info/france/300301704.htm?xtor=RSS-2059

(2) “Fillon: la crise n’est pas derrière nous”, Le Figaro, 15 octobre 2008. http://www.lefigaro.fr/economie/2008/10/15/04001-20081015ARTFIG00320-fillon-la-crise-n-est-pas-derriere-nous-.php

(3) “L’Europe se mobilise face à la récession” Le Figaro, 17 octobre 2008. http://www.lefigaro.fr/economie/2008/10/17/04001-20081017ARTFIG00447-l-europe-se-mobilise-face-a-la-recession-.php

(4) “Nicolas Sarkozy est augmenté de 172%, et non de 140%” Le Monde, 6 novembre 2007. http://www.lemonde.fr/sarkozy-un-an-a-l-elysee/article/2007/11/06/le-president-de-la-republique-est-augmente-de-172-et-non-de-140_974995_1036775.html

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Comment on fait face à une récession

DrapeauLa prévision de la récession

La manière dont un pays fait face à une récession dépend pour une part de l’ampleur de l’effet de surprise. A ce propos, on ne peut que constater que la France n’a rien vu venir, la prévision de croissance contenue dans la loi de finances 2008 (2,25%, comme en 2007) pouvant s’avérer au final trois fois supérieure à la croissance réelle. A ce jeu là, nos amis danois ont été plus chanceux (si toutefois c’est bien uniquement de chance dont il s’agit): en raison des élections législatives anticipées de novembre 2007, la loi de finances 2008 n’a été adoptée qu’en avril, ce qui a permis d’y intégrer le recul du PIB constaté au 4ème trimestre 2007 et de faire donc preuve de davantage de prudence (hypothèse de croissance de 1,4%, croissance aujourd’hui attendue de 1%).

La préparation à la récession

La résurgence d’une récession étant inévitable, la meilleure manière d’y faire face est de s’y préparer: dans quel état nos deux pays abordent la période de vaches maigres actuelle? Une comparaison des grands agrégats macroéconomiques s’impose (1):

2008 France Danemark
Taux de chômage 7,2% (1er trimestre) 1,6% (juin)
Solde budgétaire (loi de finances) -2,5% +3,8%
Dette publique (loi de finances) 64% 21,6%
Balance commerciale (1er semestre) – 24,4 milliards € +1,7 milliard €
Inflation (juillet) en glissement annuel 3,6% 4%

Au-delà des chiffres du chômage et du commerce extérieur, une chose saute aux yeux: les finances publiques danoises sont bien mieux armées que les nôtres. La raison? Le consensus existant au Danemark  depuis 2001 selon lequel les périodes fastes doivent être mises à profit pour dégager des excédents budgétaires et réduire ainsi la dette publique (y compris les périodes moins favorables si l’on en croit le plan économie 2015).

La négation de la récession

S’il est un point que partagent nos deux gouvernements, c’est bien celui de nier l’évidence. Du côté danois, Anders Fogh Rasmussen déclarait encore récemment qu’il ne croyait pas à la récession, préférant mettre l’accent sur les réformes à venir en termes d’emploi et de fiscalité, susceptibles selon lui d’assurer à son pays un taux de croissance moyen inchangé lors de la décennie à venir malgré les prévisions très réservées des organismes internationaux (il est vrai qu’après deux trimestres consécutifs à la baisse, le PIB est reparti à la hausse). De l’autre, Francois Fillon, qui affirme qu' »il n’est pas raisonnable de parler de récession » en dépit d’un premier recul du PIB et d’un troisième trimestre qui, selon Christine Lagarde, « ne sera pas bon » (2).

La gestion de la récession

Après deux années passées à craindre une surchauffe de l’économie, la récession est presque bénéfique au Danemark. Cela n’empêche pas l’opposition de jouer son rôle en affirmant que certaines réformes auraient du être mises en oeuvre dès les premiers signes de ralentissement de l’économie. Mais le sentiment qui domine est celui de confiance. Pour preuve, les deux commissions sur la fiscalité et sur l’emploi, instaurées en 2007, rendront comme prévu leurs travaux vers la mi-2009, l’objectif central étant de faire face au manque de main-d’oeuvre.

Autrement dit, pas de réunion théâtrale et maladroite entre un premier ministre et « l’ensemble des ministres en charge de l’économie » qui, sous couvert de rassurer et tenter de donner l’illusion du contrôle, ne fait finalement que confirmer que le gouvernement est pris de court (mais comment pourrait-il en être autrement avec une hypothèse de croissance de 2,25%?) et qui accentue la séparation entre les ministres qui comptent et les autres (désastreuse hiérarchie quand tu nous tiens…Comment expliquer que des secteurs aussi importants que la santé, l’environnement ou encore la prospective soient encore considérés comme hors du champ de l’économie?).

Un point commun tout de même dans la gestion de la crise entre nos deux pays: la volonté  bienvenue de se concentrer sur l’approfondissement des réformes et non sur la mise au point d’un plan de relance. Il n’y a qu’un PS irresponsable et peu inspiré pour en demander un…

La concertation lors de la récession

La récession qui s’annonce dans notre pays met une nouvelle fois en lumière notre rapport schizophrénique avec le monde extérieur, ici l’Union Européenne. Résumons: avant l’annonce des chiffres décevants du deuxième trimestre, on fait comme si la France s’en sortait mieux que ses partenaires européens (ce qui n’empêche pas de « taper » sur la BCE par l’intermédiaire de notre président), pour demander une action concertée une fois les chiffres confirmés…(3) Pourtant, une rapide comparaison des situations des uns et des autres suffit à montrer que les remèdes, à savoir les réformes, ne sauraient être les mêmes pour tous.

Prévisions à l’emporte pièce, laxisme dans la gestion des finances publiques en période de croissance, refus d’admettre la réalité, réflexes élitistes lorsque l’existence d’une crise ne peut plus être réfutée, inconsistance dans nos rapports avec nos partenaires européens…Et si la France manquait tout simplement de culture économique?

(1) Données de l’INSEE pour la France, de Danmarks Statistik et du Ministère des Finances pour le Danemark.

(2) « Fogh: jeg tror ikke på recession » Børsen, 19 août 2008, http://borsen.dk/okonomi/nyhed/138342/newsfeeds_rss/

« Francois Fillon se refuse à parler de récession » La Tribune, 18 août 2008, http://www.latribune.fr/info/Francois-Fillon-se-refuse-a-parler-de-recession-529-~-FRANCE-FILLON-ECONOMIE-20080818TXT-$Db=News/News.nsf-$Channel=Bourse

(3) Interview de Madame Christine Lagarde à Europe 1, 20 mars 2008, http://discours.vie-publique.fr/texte/083000930.html

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Carton rouge

IMG_0353 RED (WinCE)Ne soyons pas médisants: formuler une hypothèse de croissance qui s’avère par la suite exacte est un exercice difficile. Tout ministre responsable qui s’y colle, aussi brillant soit-il, devrait donc faire preuve de retenue quant aux doutes exprimés par les uns et les autres sur l’optimisme de sa projection et éviter de “jubiler” lorsque le bas de la fourchette est atteint, comme en 2007.

Cela empêcherait assurément les esprits critiques de revenir, après coup, sur des déclarations malheureuses (“J’entends parfois dire que nos hypothèses de croissance seraient trop optimistes. Permettez-moi de vous présenter les choses différemment : nos prévisions ne cèdent pas au défaitisme ambiant dans certains cercles. Je ne crois pas, moi, qu »il faille être pessimiste pour avoir l’air intelligent”), voire carrément outrageantes (“c’est un budget honnête, qui ne cache pas à nos concitoyens l’état de nos comptes, et qui leur indique la manière dont nous allons les redresser”) (1).

Des déclarations d’autant moins pardonnables que la dette publique a depuis lors augmenté de 41,1 milliards d’euros. Et comme l’a justement fait remarquer Le Point cette semaine, “41,1 milliards d’euros, c’est quatre fois le budget programmé en 2008 pour l’écologie et le développement durable (10,1 milliards), six fois le budget de la justice (6,5 milliards)[…] un peu moins de deux fois le budget consacré à la recherche et l’enseignement supérieur (23,2 milliards) […] (2).

Une comparaison avec nos amis danois s’impose donc: seraient-ils plus affutés que nous dans le redoutable exercice de la prévision? (3)

France Hypothèse Croissance réelle
2003 2,5% 0,5%
2004 1,7% 2,5%
2005 2 à 2,5% 1,7%
2006 2 à 2,5% 2%
2007 2 à 2,5% 2,1%
2008 2 à 2,5% 1,7%?

Danemark Hypothèse Croissance réelle
2003 2,2% 0,4%
2004 2,3% 2,3%
2005 2,5% 2,5%
2006 2,4% 3,9%
2007 2,2% 1,8%
2008 1,4% 1%?

Au vu des deux tableaux ci-dessus, il semble qu’il leur arrive également de se tromper. Mais ce qui saute également aux yeux, c’est qu’il n’est pas admissible de pas faire au moins aussi bien qu’eux en utilisant une fourchette de prévision de 0,5 pts de croissance, surtout dans un contexte où les différents budgets adoptés sont constamment en déséquilibre et qu’il faut donc faire preuve de davantage de prudence. Il est de plus intéressant de remarquer que malgré quelques imprécisions dans les prévisions danoises, un excédent budgétaire a été constaté sur toute la période, à l’exception de l’année 2003 (–0,1%).

Au-delà de l’optimisme exagéré des récentes prévisions de croissance, le creusement supplémentaire de la dette enregistré cette année serait-il le résultat d’un problème d’organisation gouvernementale? C’est en tous les cas ce que suggère Alain Lambert, ancien ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, dans son blog (4). L’enregistrement qu’il a réalisé d’une conversation entre Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée, et Eric Woerth, Ministre du Budget, est édifiant: on y apprend que ce dernier ne contrôle, en réalité, que la colonne dépenses, les recettes lui échappant totalement.

D’une manière générale, ne peut-on pas s’étonner de l’ampleur de certains portefeuilles ministériels au sein du gouvernement actuel et de la claire et regrettable hiérarchie qui en résulte? Est-il raisonnable de confier à un même ministre, l’économie, l’industrie et l’emploi? Il est vrai que la répartition des portefeuilles ministériels est le résultat d’une organisation administrative, d’une histoire et de certains impératifs (gouvernements ressérés), mais l’exemple du Danemark, avec trois ministères clairement séparés (finances, emploi et économie), ne mérite-t-il pas d’être approché? L’abandon de cette hiérarchie paralysante bien française empêcherait en tous les cas certains d’être considérés comme des ministres « croupions »…(5).

En débutant ce blog, je n’aurais jamais imaginé devoir dénicher une bonne pratique danoise à un niveau aussi élémentaire. C’est pour cette raison que je n’ai d’autre choix que de sortir le carton rouge…

(1)http://www.minefe.gouv.fr/discours-presse/discours-communiques_finances.php?type=discours&id=546&rub=500

(2) « Les petits ruisseaux ne font pas les grandes rivières« , Jacques Marseille, Le Point, 17 juillet 2008, http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/les-petits-ruisseaux-ne-font-pas-les-grandes-rivieres/989/0/261041

(3) Les données pour la France proviennent du Ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi http://www.minefe.gouv.fr/recherche/lance_recherche.php?mot=Lois+de+finances&search_go=ok Les données pour le Danemark sont issues des études économiques d’août du ministère des Finances (økonomisk redegørelse) http://www.fm.dk

(4) http://www.alain-lambert-blog.org/

(5) « Finances publiques: la majorité sonne l’alerte« , Le Figaro, 15 juillet 2008, http://www.lefigaro.fr/economie/2008/07/15/04001-20080715ARTFIG00249-finances-publiques-la-majorite-sonne-l-alerte-.php

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