Le système danois de négociation collective est bien rodé. Il n’empêche que certaines conventions collectives sont plus difficiles à mettre en place que d’autres. A ce propos, si la grève a été évitée de justesse dans le secteur privé en 2007, il n’en a pas été de même pour le secteur public au cours d’un printemps 2008 marqué par un conflit de huit semaines du personnel de la santé.
Les difficultés rencontrées ne sont pas dues au hasard. Après la période faste (2004-2007) de croissance économique, tous les syndicats désiraient en récolter les fruits à l’aube d’un ralentissement justement annoncé pour la fin 2007 (1). De même, l’implication précoce et inhabituelle de certains partis politiques dans le processus de négociation et les quelques “maladresses” du gouvernement (réforme des collectivités territoriales de janvier 2007 qui renforce les pouvoirs de l’Etat dans le processus de négociation entourant le secteur public, présentation, en août 2007, de la réforme de la qualité dans le secteur public, promesses de baisse d’impôt durant les législatives anticipées de novembre 2007, interprétées par les syndicats comme étant convertibles en hausses salariales…) n’ont fait qu’hâtiser les revendications (2)
Avantages consentis dans le cadre du secteur privé (industrie): (3)
– Création d’un fonds de développement des compétences. Les employeurs y versent 70€ par salarié et par an durant la période d’application de la présente convention collective. Ce fonds est utilisé pour financer les salaires pendant les deux semaines de formation continue garanties aux salariés depuis les conventions collectives signées au début des années 90.
– Renforcement du statut des syndicats et des représentants syndicaux au sein des entreprises. Les représentants du personnel peuvent désormais percevoir entre 1000 et 4000€ par an en fonction du nombre de salariés qu’ils représentent (financé par un fonds alimenté et géré par les partenaires sociaux et non par l’employeur).
– Introduction d’un compte de libre choix composé d’un montant correspondant à cinq journées de congés extraordinaires négociés dans le cadre de précédentes conventions, incluant les jours fériés et 1% du salaire versé pendant la période d’application de la présente convention. Chaque salarié peut choisir sous quelle forme il souhaite percevoir le montant ainsi constitué: augmentation salariale, augmentation de la contribution à la retraite professionnelle complémentaire, temps libre…
– Congé parental de 3 semaines pour les pères. Cotisations retraite maintenues pour les mères en congé maternité.
– Cotisations à la retraite professionnelle complémentaire portées de 10.8% aujourd’hui à 11,1% au 1er juillet 2008 et à 12% au 1er avril 2009 (4)
– Augmentation du salaire minimum (seulement valable dans l’industrie) de 13,17€ au 1er mars 2007 à 13,51€ au 1er mars 2008 et à 13,85€ au 1er mars 2009. Les heures supplémentaires sont augmentées de 3% par an.
Avantages consentis dans le cadre du secteur public (agents de l’Etat): (5)
– Augmentation des salaires de 12,8% sur 3 ans.
– Les congés parentaux passent de 12 à 18 semaines (6 semaines pour les mères, 6 pour les pères et 6 à partager).
– Deux journées d’absence autorisées (contre une jusqu’ici) en cas d’enfant malade.
– Bonus salarial de 2,9 à 3,2% pour les séniors à partir de 2009 en fonction de leur âge et de leur catégorie professionnelle. Bonus convertibles en temps libre ou épargne retraite.
– Cotisations à la retraite professionnelle complémentaire portées de 12,5 à 15% du salaire brut pour les syndicats appartenant à LO, ce dernier pourcentage étant déjà atteint par les autres.
Comparaison des avantages entre le secteur public et le secteur privé:
Secteur public en 2008 |
Secteur privé en 2007 |
|
Congés maternité (payés) |
38 semaines |
29 semaines |
Congés payés |
6 semaines |
6 semaines |
Pause déjeuner payée |
2,5 heures par semaine |
néant |
Congés de présence parentale/congés pour enfant malade |
2 jours par an jusqu’à ce que l’enfant ait 8 ans/deuxième jour en cas de maladie |
néant |
Salaire en cas de maladie (salariés) |
Pas de limitation |
7,5 semaines en moyenne |
Retraite complémentaire professionnelle |
12-17,5% |
12% |
Que conclure des avantages auxquels les salariés danois ont aujourd’hui droit? Qu’à de rares exceptions près (35 heures en France contre 37 au Danemark, mais à quel prix?) la France ne soutient pas la comparaison. Rappelons également que les salaires danois sont également plus élevés d’au moins 50%…(6).
Par exemple, il faut attendre en France d’avoir un troisième enfant pour bénéficier d’un congé maternité (26 semaines) qui s’approche de celui en vigueur dans le privé au Danemark. Heureusement que Bruxelles vient de décider de faire passer le congé minimum au sein de l’UE de 14 à 18 semaines, ce dernier étant aujourd’hui dans notre pays de 16 semaines pour le premier enfant…De même, les salariés danois ont droit à six semaines de congés payés contre cinq en France. Sans compter les retraites complémentaires professionnelles…
Ces différences s’expliquent sans doute en partie par la faiblesse du taux de syndicalisation en France (8%, contre 75% au Danemark), qui ne laisse finalement aux organisations syndicales qu’un seul véritable pouvoir, celui de faire grève. Un taux de syndicalisation qui ne risque d’ailleurs pas de repartir à la hausse tant qu’une réforme de leur mode de financement n’est pas décidée. Au Danemark, la quasi-totalité du financement des syndicats est constitué par les cotisations versées par les membres, une transparence qui renforce la confiance qui leur est accordée et donc leur capacité à négocier (on est loin des dégâts produits par l’affaire UIMM…).
Le manque de main-d’oeuvre qui prévaut au Danemark pousse aujourd’hui le gouvernement à préconiser le “travailler plus”. Cela n’empêche pas les organisations syndicales d’avoir récemment obtenu un nouvel avantage, à savoir l’instauration d’une commission sur les salaires dont la mission principale sera d’étudier les différences salariales sous l’angle de la parité et dont les conclusions serviront de base aux prochaines négociations entourant les conventions collectives du secteur public.
Donc pas d’avancées dans notre pays sans des syndicats forts et responsables. A ce propos, il est nécessaire de souligner que l’adhésion à un syndicat n’est pas obligatoire au Danemark, contrairement à ce qui est souvent avancé dans notre pays. Au-delà de la totale transparence en termes de financement et de la confiance découlant d’un modèle de négociation de plus de 100 ans, la force des organisations syndicales est basée sur l’éventail de services qu’elles proposent: offres d’emploi personnalisées, assistance juridique, conseil personnalisé (comment négocier son salaire/statistiques sur les salaires en vigueur…). A suivre…
(1) Récolter les fruits d’une telle période passait par des exigences salariales élevées (pour certaines organisations allant jusqu’à 15% sur trois ans) et accentuées par le manque de main-d’oeuvre.
(2) La réforme de la qualité dans le secteur public vise notamment à renforcer l’attractivité des postes.
(3) Le secteur de l’industrie fixe traditionnellement le cadre général de négociation pour les autres secteurs. Les conventions collectives conclues en 2007 pour le secteur privé sont valables jusqu’au 1er mars 2010.
(4) Les retraites professionnelles complémentaires ont été introduites au début des années 90. Les cotisations sont versées aux 2/3 par l’employeur, le tiers restant par l’employé. Elles viennent compléter la pension d’Etat (Folkepension), la retraite complémentaire appelée ATP (versée d’une manière obligatoire par tous ceux en activité) et les éventuelles retraites souscrites à titre privé. Ces quatre dispositifs font du Danemark une référence mondiale en termes de solidité du système de retraite.
(5) La convention collective conclue pour les agents d’Etat est valable jusqu’au 1er avril 2011. Des conventions collectives sont également conclues au niveau régional et communal.
(6) Le salaire brut moyen annuel était en 2003 de 43 577€ au Danemark contre 28 068€ en France. Données Eurostat 2003 http://www.journaldunet.com/management/repere/salaires_europe.shtml