Ci-après un article récemment paru dans le quotidien économique Børsen sur l’utilité du modèle de flexicurité en période de récession. L’auteur est Flemming Sundø, directeur de Nordisk Kellogg’s. Il a l’avantage d’avoir travaillé dans de nombreux pays (Europe et Asie), ce qui lui permet de mettre en relief avec d’autant plus de vigueur la singularité du modèle danois (1).
Avec quelle force le ralentissement de la croissance va t-il nous toucher? La question remplit en ce moment les discussions dans les couloirs des directions à l’heure où l’économie danoise, ainsi qu’une majorité des pays du G7, sont en récession. Une partie de la réponse doit à mon sens être trouvée dans un aspect que tous les danois prennent pour donné, à savoir la mobilité de la main-d’oeuvre.
J’ai travaillé pendant 10 ans au Japon et dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest et d’Europe de l’Est. Au cours de cette période, j’ai pu constater de près à quel point beaucoup de ces pays étaient marqués par le manque de souplesse de leurs marchés du travail, l’exemple japonais du « Life long employment » étant le cas le plus extrême. Dans ces pays, les entreprises rencontrent des difficultés pour ajuster la main d’oeuvre à la baisse de leur chiffre d’affaires, ce qui signifie qu’une conjoncture en berne les touche durement.
A titre de comparaison, l’ancienneté moyenne sur le marché du travail danois était d’à peine 5 ans en 2005. C’est la plus basse au sein de l’Union Européenne et elle ne représente que la moitié de celle qui prévaut en Allemagne. Le modèle de flexicurité offre au marché du travail danois une flexibilité unique qui, couplée à la capacité des danois à trouver des solutions alternatives et créatives, peut aider à parer les effets les plus néfastes de la crise.
Lorsque les personnes présentes sur le marché de l’emploi sont en mesure d’utiliser leur mobilité en fonction des changements qui interviennent en termes de conditions et d’opportunités, il est également beaucoup plus facile pour les entreprises de faire de même. La flexibilité constitue ainsi l’airbag de l’économie danoise contre un éventuel ralentissement. Entrer en « mode résistance » est une bonne chose, mais passer à l’offensive est encore mieux. Dans ce pays, un de nos points faibles est que nous sommes enclins à manquer d’ambition. Si nous voulons vraiment récolter les fruits de nos capacités d’adaptation, nous devons également être prêts à voir plus grand et à nous fixer des objectifs plus élevés, surtout dans un contexte mondialisé.
Lorsque la peur du licenciement est surmontée, la motivation à saisir les opportunités qui se présentent devient plus grande. Un des avantages liés à l’existence d’une main-d’oeuvre mobile est que les employés n’attendent pas tous de la même manière que toutes les idées et les décisions soient prises d’en haut. Les employés danois n’ont pas peur de proposer des solutions alternatives et créatives et de les suivre.
Lorsque les employés eux-mêmes co-définissent les buts et les solutions et que les employeurs osent donner leur accord à leur implication, la motivation de se battre et de naviguer vers une destination commune est beaucoup plus forte. Ceci est une force que nous devons utiliser […].
Les périodes de vaches maigres viennent et disparaissent. Nous devons tirer profit de la flexibilité qui existe dans notre pays et de nos capacités d’adaptation. Si nous parvenons à combiner ces deux éléments avec des visions de long terme et le courage d’investir juste avant que la conjoncture économique ne se retourne, nous n’avons pas seulement la recette pour nous défendre mais aussi la recette du succès. Les entreprises danoises sont en mesure d’être en haut de la vague au moment où nos concurrents à l’étranger seront encore fixés sur des questions d’ajustement des coûts.
Que retenir d’une telle tribune libre?
1) Qu’il ne serait pas surprenant que le Danemark, premier pays de l’Union Européenne touché par la récession (amplifiée par le récent mouvement de grève de huit semaines dans le secteur public), soit également le premier à sortir de la période difficile actuelle, la mobilité de la main-d’oeuvre n’y étant pas étrangère.
2) Qu’au-delà des caractéristiques habituellement mises en avant pour le définir (flexibilité, filet de sécurité constitué par les allocations chômage, formation continue développée, fort taux de syndicalisation…), le modèle danois de flexicurité est un état d’esprit basé sur un rapport employeur/employé très éloigné de notre système de management, schlérosé par une hiérarchie tellement présente qu’elle ne fait que décourager l’esprit d’initiative.
(1) Flemming Sundø « Recession: Flexicurity er stødpuden« , Børsen, 19 août 2008.