Ouvrir les portes de la négociation collective (1)

IMG_0250Produit d’un processus historique singulier (compromis de 1899), le système danois de négociation collective est donc inimitable (1). Pourtant, à l’heure où des notions telles que la solidarité ou l’intérêt général sont battues en brèche dans notre pays, condamnant ce dernier à un inévitable déclin, il serait utile de puiser notre inspiration dans certains principes qui le sous-tendent.

Après tout, la démarche initiée au niveau politique par le Mouvement Démocrate (dépassement du clivage droite/gauche) n’a de chances de réussir que si elle parvient à être traduite dans la sphère économique et sociale, à travers l’obtention de consensus dont l’absence explique en grande partie l’impossibilité de réformer en profondeur notre pays.

Les principales caractéristiques du modèle danois de négociation collective:

1) Les conventions collectives, en principe renégociées tous les 3 ou 4 ans, sont la source de droit la plus importante du marché du travail danois. Elles n’ont toutefois pas valeur de loi: les 37 heures ne sont qu’une norme, tandis qu’à l’exception du secteur de l’industrie, il n’y a pas de salaire minimum. Les conventions collectives couvrent 85% des personnes présentes sur le marché du travail (100% dans le secteur public et 77% dans le privé).

2) Le système repose sur un taux de syndicalisation élevé (75%) qui explique son degré élevé d’autorégulation (2). Ce dernier a tendance à s’effriter (il était de 84% en 1995), ce qui est regrettable lorsque les conventions collectives sont négociées à un niveau de plus en plus décentralisé (à noter toutefois que ce même taux n’était “que” de 60% dans les années 60).

3) Le secteur public fait l’objet de négociations centralisées. Outre la signature d’accords cadre annuels entre l’Etat, l’Association des Communes (KL) et l’organe représentant les régions (Danske Regioner), qui ne laisse à ces dernières qu’une marge de manoeuvre limitée lorsqu’elles arrivent à la table des négociations, l’Etat a vu ses prérogatives renforcées suite à l’entrée en vigueur de la réforme des collectivités territoriales en janvier 2007 (les représentants de l’Etat au niveau des régions disposant d’un droit de véto). La tendance est en revanche clairement à la décentralisation en ce qui concerne le secteur privé, de plus en plus de conventions collectives étant négociées au niveau local (entreprise).

LO.dk

4) Le recours à la grève est limité. Il n’est ainsi possible que durant la période de renégociation des conventions collectives. Les organisations syndicales disposent du droit de grève, les organisations patronales du lockout (leur annonce devant être faite quatre semaines à l’avance). Durant la grève, les salariés percoivent une allocation équivalente au montant de l’allocation chômage de la part de leurs syndicats respectifs (environ 95€ par jour), tandis que lorsque les employeurs ont recours au lockout, tous les employés du secteur concerné se voient refuser l’accès à leur lieu de travail (les syndicats versant alors également une allocation aux salariés non-grévistes).

5) Deux instances incontournables sont issues de la loi: le médiateur et le Tribunal du Travail. L’institution du médiateur est issue de la loi sur la conciliation de 1910: 3 médiateurs (un pour le secteur public, un pour le secteur privé et un pour le secteur agricole) sont nommés par le ministère de l’Emploi sur la base d’une proposition émise par le Tribunal du Travail. Les médiateurs interviennent une fois un préavis de grève déposé et disposent de certains pouvoirs, notamment celui de repousser par deux fois (deux fois 14 jours) l’éventualité d’un conflit ou encore celui de présenter un texte de compromis. Le Tribunal du Travail traite des affaires relatives aux éventuelles infraction entourant les conventions collectives. Les juges qui le composent sont également nommés par le ministère de l’Emploi après consultation des partenaires sociaux.

6) Un dispositif de régulation vient garantir un certain degré d’alignement des salaires et des autres avantages du secteur public sur le secteur privé. Depuis 1987, les salaires du public sont ainsi alignés à hauteur de 80% de la hausse conclue dans le secteur privé. Ce dispositif de régulation est incontournable dans le système danois de négociation collective dans la mesure où il condamne toute stratégie individuelle trop marquée de la part d’une organisation syndicale (tout avantage salarial plus élevé obtenu par une organisation étant réduit par l’ajustement automatique des salaires du public sur ceux du privé). L’existence de ce dispositif explique l’échec de la récente grève des infirmières à la fin du printemps 2008.

Quel est le premier enseignement à tirer des principales caractéristiques du modèle danois? Qu’au delà des explications culturelles avancées habituellement (le danois est d’un tempérament calme, ouvert à la discussion tandis que les latins sont enflammés et ne parviennent pas à négocier), l’obtention de compromis et le recours relativement limité à la grève qui en découle s’expliquent par l’existence de règles singulières et partagées par l’ensemble des parties prenantes. Il ne tient donc qu’à nous d’en adopter qui vont dans le même sens.  A suivre…

(1) Le compromis de septembre 1899 a mis fin à un conflit entre travailleurs et patronat et a permis d’établir les bases du système de négociation collective au Danemark.

(2) Adhérer à un syndicat « traditionnel » coûte en moyenne entre 50 et 55€ par mois (déductible d’impôt). Des syndicats dits « jaunes » ont toutefois vu le jour ces dernières années, proposant des tarifs préférentiels (10€ par mois). Le terme fait référence au mouvement syndicaliste jaune en France au début du vingtième siècle: les “jaunes” étaient les non-grévistes.

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Une réponse à “Ouvrir les portes de la négociation collective (1)

  1. Bonjour
    Un petit article sur la poste au danemark, ça serait pas mal. J’ai entendu dire qu’ils avaient fusionné avec ceux de Suède et j’aurais aimé avoir des éclaircissements sur ce changement.
    Pourriez vous m’éclairer par une de vos analyses type?
    Merci

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