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Samsø, ou « l’île du nirvana vert »

SPM_A1387La COP15 constitue une opportunité unique pour le Danemark d’exposer son savoir-faire en termes de technologies vertes. Cela n’a évidemment pas échappé au gouvernement danois, qui a pris ces dernières semaines un certain nombre d’initiatives destinées à s’assurer que le pays tire pleinement profit de l’attention qui lui est aujourd’hui portée. Parmi elles, la mise en place d’un partenariat public-privé dénommé “Alliance Verte”, censé promouvoir le développement des technologies de l’environnement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première des cinq réunions programmées en 2010 dans le cadre du Forum de la Croissance, la nouvelle structure informelle de prospective, aura pour thème la croissance verte (1). Un thème sur lequel le Danemark dispose souvent d’une longueur d’avance: les exportations de technologies ont représenté pas moins de 3,5% du PIB en 2008, un résultat qui place le pays à la première place mondiale. Pour le Brésil, second du classement, cette part atteint…1%, les autres pays industrialisés étant encore plus distancés (2). Le résultat d’investissements judicieux qui ont débuté il y a une vingtaine d’années…

La loupe posée aujourd’hui sur le Danemark n’aura à n’en pas douter des effets grossissants. Certains des résultats obtenus ne manqueront pas d’être exagérés avec la complicité bienveillante (et compréhensible) des autorités danoises. Il est toutefois un nom que le pays peut mettre en avant sans plus rien avoir à prouver, tant il est désormais connu internationalement: Samsø. Surnommée “l’île du futur” (New York Times) ou encore “l’île du nirvana vert” (World News Australia), Samsø a fait l’objet ces derniers mois d’un nombre incalculable de visites de journalistes et d’environnementalistes du monde entier (3). Notre pays n’a pas échappé à l’engouement: France 3 y est par exemple allée de sa petite contribution (4).

La raison de l’intérêt porté à Samsø tient au pari, fait en 1997, de rendre l’île indépendante énergétiquement dans les dix ans. Un pari atteint dès 2003, l’île, d’une surface de 114 kilomètres carrés et peuplée par quelque 4000 habitants,  “exportant” même de l’électricité depuis lors, ce qui permet d’investir dans de nouveaux projets à forte connotation énergétique et de financer les activités de Samsø Energiakademi (5). Inaugurée en mai 2007, cette “académie” a pour objectif de rassembler les connaissances en termes d’économies d’énergie et d’énergie renouvelable et d’accueillir des chercheurs du monde entier dont les travaux sont axés sur ces thèmes. Elle organise régulièrement des conférences et se propose également d’accueillir élèves et touristes.

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Pour atteindre l’objectif d’indépendance énergétique, Samsø a dû investir pas moins de 368 millions de couronnes (environ 50 millions d’euros) dans une série de projets. L’installation d’éoliennes a évidemment joué un rôle primoridial dans la politique qui a été mise en place. 11 éoliennes ont ainsi été installées en 2000 pour 66 millions de couronnes (environ 9 millions d’euros), permettant de couvrir plus que la totalité des besoins de l’île en électricité (les agriculteurs de l’île sont propriétaires de 9 d’entre elles). 10 autres éoliennes de plus grande taille ont ensuite été installées au large de l’île en 2003, la commune devenant alors propriétaire de cinq d’entre elles. Ces éoliennes produisent plus d’énergie que l’île n’en a besoin pour son secteur des transports (y compris les 3 ferries).

Le pari fait sur l’éolien a de plus été complété par un série d’investissements, notamment dans des stations de chauffage alimentées par la biomasse, cette dernière étant la source unique de chauffage de 75% des habitations de l’île. Le recours aux panneaux solaires a également été encouragé.

Indépendante énergétiquement, Samsø vise désormais la neutralité en CO2 grâce notamment aux revenus tirés de sa production d´électricité excédentaire (les émissions de lîle ont été réduites de 140% au cours des dix dernières années) (6). Les autorités de l’île entendent en effet concentrer leurs efforts dans deux directions: un projet intitulé “Passivhus +10” et l’introduction de la voiture électrique. Le projet “passivhus + 10” est basé sur le principe que les coûts liés à la construction d’une maison passive ne peuvent excéder de 10% de ceux liés à la construction des habitations répondant aux exigences légales de construction.

L’aventure vécue par Samsø a donc débuté par l’éolien. Un domaine dans lequel la France a heureusement accompli des progrès depuis quelques années. Les résistances à ce type d’énergie restent toutefois nombreuses et contrastent grandement avec l’appropriation dont elle a fait l’objet par la population locale de l’île et par les Danois en général (7). En pleine COP15, il serait grand temps que ses opposants prennent conscience que la “pollution” visuelle, dans le domaine de l’énergie comme dans celui du petit écran (à quand l’introduction des sous-titres à la télévision?) est un moindre mal…

(1) Site du Premier Ministre http://stm.dk/_a_2940.html

(2) “Danmark giver baghjul i grønt salg” Berlingske Tidende, 10 décembre 2009 http://www.business.dk/brancher/danmark-giver-verden-baghjul-i-groent-salg

(3) “Samsø er berømt verden over” Berlingske Tidende, 26 novembre 2009 http://www.berlingske.dk/klima/samsoe-er-beroemt-verden-over

(4) http://info.france3.fr/avenue-europe/?date=2008/03/29&id_article=130 Pour avoir un aperçu de la couverture journalistique de l’île, consulter le site de Samsø Energiakademi, http://www.energiakademiet.dk/front.asp?id=100

(5) http://www.energiakademiet.dk/

(6) http://www.teknikogviden.dk/artikelarkiv/2008/12/passiv-huse-og-elbiler-foerer-samsoe-ind-i-fremtiden-.aspx

(7) Le Danemark compte pas moins de 4800 éoliennes. Sur ces 4800, seuls 114 offrent une puissance supérieure à 2 mégawatt. Depuis 2004, l’installation d’éoliennes a fortement ralenti. De nouveaux projets sont toutefois programmés.

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Le Danemark neutre en CO2 en 2050?

SPM_A0066 La conférence internationale sur le changement climatique approchant à grands pas, Courrier Danemark se propose désormais d’aborder de manière régulière les thèmes de l’énergie, du climat et de l’environnement.  Des thèmes pour lesquels le Danemark, pays hôte de cette conférence, obtient des résultats contrastés. Tantôt encensé (du fait du développement de  l’énergie éolienne, du niveau d’intensité énergétique…), tantôt critiqué (niveau élevé d’émissions par habitant), le pays entend quoi qu’il en soit profiter de la COP 15 pour accélérer son entrée dans l’ère de la croissance verte.

Consommation d’énergie, PIB et intensité énergétique (Energi Styrelsen)

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Consommation brute d’énergie par source (Energistyrelsen)

Données corrigées 1980 1990 2000 2007
Consommation brutte (PJ) 814 819 837 874
Pétrole 67% 43% 44,7% 40%
Gaz naturel 0% 10% 22,9% 20%
Charbon 29,6% 39,9% 21% 22%
Déchêts (non bio-dégradable) 0,4% 0,6% 0,8% 1%
Energie renouvelable 3% 6,5% 10,6% 17%

A ce propos, les attentes liées à la COP 15, qui se tiendra du 7 au 18 décembre, ne doivent pas être exagérées. En premier lieu, le contexte économique actuel ne semble malheureusement pas se prêter à l’adoption d’un compromis ambitieux. Mais surtout, les conférences passées de ce type (Rio et Kyoto) n’ont donné lieu qu’à une succession d’engagements de réduction d’émissions qui n’ont à l’arrivée pas été tenus. Cela n’empêche pas le Danemark d’avoir récemment présenté, à trois mois d’intervalle, deux projets poursuivant cette logique de fixation d’objectifs clinquants à long terme.

La municipalité de Copenhague a tout d’abord rendu public au mois de mars un plan visant l’objectif “zéro émissions” d’ici 2025 (1). Un effet d’annonce, puisqu’avec les mesures présentées (recours accru à l’énergie éolienne, développement des voitures électriques et à hydrogène auxquelles serait accordé un stationnement gratuit, création de postes de consultants censés orienter les citoyens, efforts dans le domaine éducatif, notamment envers les enfants, programme de rénovation des bâtiments communaux…), les émissions ne passeraient finalement “que” de 2,5 à 1,1 million de tonnes de CO2. Mais un plan qui vient opportunément compléter l’usage de plus en plus répandu du vélo dans la vie de tous les jours (2).

Plus complet et du coup sans doute plus réaliste est celui présenté au début du mois de juin par Dansk Energi, organisation professionnelle regroupant les entreprises du secteur (3). Le titre du rapport, « Power to the people » illustre le rôle central joué par l’électricité dans le but de rendre l’ensemble du pays neutre en CO2 d’ici 2050. L’atteinte de cet objectif final serait permis par 4 grandes orientations:

1) La réduction d’un tiers de la consommation d’énergie (par rapport à aujourd’hui) et l’accroissement de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie, de 20% aujourd’hui à un peu plus de 50% en 2050.

2) La part de l’électricité verte s’accroît à travers le recours à 600 000 voitures électriques en 2025 (25% du parc), aidé en cela par une exemption des taxes d’immatriculation jusqu’à 2015 avant une disparition progressive de cette mesure après cette date. Le transport  automobile est à 80% électrique d’ici 2050. Le reste du parc automobile a recours aux biocarburants. Utilisation accrue des pompes à chaleur, censées couvrir 20% des besoins de chauffage en 2050. 50% de la consommation d’énergie est couverte par l’électricité d’ici 2050.

3) La part de l’énergie renouvelable (éoliennes, biomasse et biogaz) sur la consommation totale d’énergie passe de 17% aujourd’hui à 40% en 2025 et 80% en 2050. 15% de la consommation de pétrole et de gaz réalisée par le secteur de l’industrie est remplacée par l’électricité (4).

Part de l’énergie renouvelable sur la consommation finale d’énergie en 2006 (Energi Styrelsen)

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Sources d’énergie renouvelable en 2007 (Energi Styrelsen)

En bleu: énergie éolienne, en vert: bois, en jaune: paille, en orange: gaz naturel, en violet: déchêts bio-dégradables et en gris: pompes à chaleur.

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4) La capture et stockage des rejets de CO2 (CSC).

Que les objectifs de ces deux plans soient ou non respectés, l’essentiel est finalement ailleurs: dans le renforcement marqué des moyens accordés à la recherche au développement, orientation permettant ainsi de déboucher sur la mise au point de technologies susceptibles de réduire de manière drastique les émissions de CO2.

A ce propos, si le  Danemark est un des plus gros émetteurs par habitant de CO2 de la planète, il le doit à son refus  du nucléaire et à la place accordée en conséquence au charbon, qui représente environ 20% de la consommation finale d’énergie. Un refus jusqu’à présent handicapant mais qui n’est pas dénué d’avantages à plus long terme au vu de la recomposition du paysage industriel liée au développement des nouvelles technologies (5).

Au-delà du refus du nucléaire et de la réduction progressive de la dépendance vis-à-vis du pétrole, d’autant plus souhaitable en raison de l’épuisement des réserves  en Mer du Nord, il convient donc d’effectuer un petit tour d’horizon des domaines dans lesquels les efforts du Danemark méritent d’être relevés:

– L’énergie éolienne. La réputation du Danemark dans ce domaine n’est plus à faire. Les rendements sont toutefois par nature fluctuants (6) et comme indiqué précédemment, la part de l’éolien en tant que source d’énergie renouvelable est finalement modeste. Le récent licenciement de 1200 employés du groupe Vestas, en dépit des bons résultats enregistrés en 2008, a de plus attiré l’attention sur le fait que le secteur est désormais quasiment exclusivement tourné vers l’export (+20% en 2008, pour un montant de 5,6 milliards d’euros, soit 7,2% du total des exportations et 70% du total des exportations de technologies énergétiques…(7). Le nombre d’éoliennes tend en effet à stagner au Danemark: le Portugal a par exemple installé 20 fois plus d’éoliennes l’année dernière…(8).

– Le recours aux voitures électriques. Il est aujourd’hui basé sur un projet de coopération entre Better Place, Renault-Nissan et DONG Energy, avec un objectif de 500 000 utilisateurs en 2020 (25% du parc automobile). Renault-Nissan s’est engagé à livrer les voitures électriques sur le marché danois d’ici 2011, le Projet Better Place installant quant à lui dès cet automne un réseau de bornes de recharge à travers le pays. La fiscalité automobile étant particulièrement incontournable au Danemark, le think-tank environnemental danois Concito propose de supprimer les taxes sur ces voitures tant qu’elles ne représentent pas 20% du parc automobile, promouvant ainsi le principe du “premier arrivé premier servi” (9). Concito insiste par ailleurs sur la nécessité de développer les voitures hybrides pour arriver à l’objectif de 20% du kilométrage couvert par les voitures électriques. A cela vient s’ajouter la récente proposition du Maire de Copenhague, Ritt Bjerregaard, de rendre gratuits les 11 bus électriques de la ville (CityCirkel) lors du débat budgétaire de septembre (10).

– L’énergie solaire en remplacement de l’énergie éolienne? C’est en tous les cas le sens du message de l’ancien prix Nobel de physique Jack Steinberger (1988), qui appelle les gouvernements à investir massivement (entre 20 et 25 milliards d’euros) en Afrique du Nord. Un effort susceptible de couvrir 80% de la consommation d’énergie de l’UE. En attendant son éventuelle réalisation, le Danemark poursuit ses efforts de recherche dans ce domaine. Un exemple est donné par le développement de nouvelles cellules solaires en plastique par une entreprise danoise, Mekoprint Electronics, en coopération avec le centre de recherche de Risø. Un nouveau débouché pour les exportations? (11).

– L’énergie provenant de la biomasse. Elle est l’incontestable source dominante d’énergie renouvelable au Danemark (près de quatre fois plus importante que l’énergie éolienne). Selon le plan conclu en février 2008 pour la période 2008-2011, son recours accru devrait permettre d’atteindre l’objectif de 20% d’énergie renouvelable en 2011. Sans compter le savoir-faire danois dans ce domaine, qui s’exporte de plus en plus (12).

Avec encore plus de 80% de sa consommation brute d’énergie assurée par le pétrole, le gaz et le charbon, le Danemark est donc encore loin de l’ère de croissance verte caractérisée par la renonciation totale aux énergies fossiles telle que souhaitée par Anders Fogh Rasmussen quelques semaines avant son départ. Cela n’empêche toutefois pas le pays d’être parvenu, comme à son habitude, à se positionner sur des niches porteuses et d’être souvent bien placé dans des domaines promis à un bel avenir…

Croissance comparée du PIB, de la consommation brutte d’énergie et des exportations de technologies dans le domaine de l’énergie (indice 100 en 1980)

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(1) Le plan est disponible (en danois) sur le site de la commune de Copenhague www.kk.dk

(2) Des données relatives à l’usage du vélo dans la capitale sont disponibles sur la page suivante: http://www.kk.dk/Borger/ByOgTrafik/cyklernesby/Cykeltal.aspx

(3) Le rapport en danois est disponible à l’adresse suivante: http://www.danskenergi.dk/Indblik/Power_to_the_people.aspx Pour de plus amples informations sur les entreprises membres de  Dansk Energi, consulter http://www.danishenergyassociation.com/AboutUs.aspx

(4) Selon l’accord sur l’énergie de février 2008, les énergies renouvelables doivent représenter 22% de la consommation finale d’énergie en 2011 et au moins 33% en 2025. D’autre part, selon Energi Styrelsen, 28,9% de la fourniture d’électricité provenait en 2007 de l’énergie renouvelable.

(5) A ce propos, lire l’excellent article de Corinne Lepage sur l’erreur historique constituée par le choix du nucléaire en France: http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/06/05/le-choix-nucleaire-erreur-historique-par-corinne-lepage_1202870_3232.html

(6) Il semble en effet que la réduction des émissions de CO2 soit conforme aux engagements de Kyoto, mais cela s’explique par le fait qu’il y a eu beaucoup de vent et de pluie en 2007…De plus, les hivers sont plus doux. Corrigées de ces facteurs, les émissions ont en fait augmenté selon WWF. Voir “Danmark har EU-rekord i CO2- reduktion”, Berlingske Tidende, 30 mai 2009 http://www.berlingske.dk/article/20090530/klima/90530026/

(7) Klimaupdate (portail d’information sur le climat), 29 mai 2009 http://www.klimaupdate.dk/default.asp?newsid=560&opt=1&note=2008%20blev%20rekordår%20for%20vindmølleindustrien

(8) Les chiffres sont avancés par The European Wind Energy Association http://www.dr.dk/Nyheder/Indland/2009/02/04/052417.htm?rss=true

(9) “Danske bilister skal lokkes med afgiftsfrie elbiler” Berlingske Tidende, 4 juin 2009 http://www.business.dk/article/20090604/transport/706030100/

(10) “Ritt vil have gratis elbusser” Berlingske Tidende, 12 juin 2009 http://www.berlingske.dk/article/20090612/koebenhavn/90612144/

(11) “Solceller åbner for eksporteventyr”, Jyllands-Posten, 25 mai 2009 http://epn.dk/brancher/energi/alternativ/article1703250.ece

(12) Les exportations de technologies dans le domaine de l’énergie ont atteint près de 8 milliards d’euros en 2007. http://www.dr.dk/Nyheder/Penge/2009/04/30/064758.htm

Les deux premiers graphiques sont tirés du site de la COP 15: http://en.cop15.dk/files/images/Articles/Danish-example/danske%20eksempel%20engelsk.pdf. Le tableau et le troisième graphique sont tirés d’un document disponible sur le site d’Energi Styrelsen http://www.ens.dk/da-DK/Info/TalOgKort/Statistik_og_noegletal/Maanedsstatistik/Documents/Energi%20i%20DK2007.pdf. Le dernier graphique provient également d’Energi Styrelsen, d’un rapport intitulé “Energipolitik redegørelse 2009″.

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Le bilan économique d’Anders Fogh Rasmussen (2)

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En démissionant de ses fonctions le 5 avril dernier, Anders Fogh Rasmussen a “abandonné” son pays au plus mauvais moment. Les dernières statistiques en date confirment en effet la contraction du PIB sur 2008 (-1,1%) ainsi que la lourde chute des exportations sur un an (-17,4% entre février 2008 et février 2009) (1). Il aura heureusement eu la bonne idée d’être fidèle à lui-même, lorsqu’il déclarait que “l’homme a toujours su qu’il était sage de faire des provisions pour l’hiver et les temps difficiles” (2). Mais son bilan ne s’arrête bien sûr pas là…

5) Une réforme des collectivités territoriales ambitieuse mais contestée

Oui, le Danemark est un petit pays. Toute réforme des collectivités territoriales ne saurait donc à priori constituer de véritable défi. Pourtant, il a fallu près de cinq ans entre la mise en place d’une commission sur le sujet et l’entrée en vigueur effective de la dernière réforme en date (1er janvier 2007). Deux facteurs permettent d’expliquer cette relative lenteur:

– L’objectif central était d’aller le plus loin possible dans la délimitation des responsabilités entre Etat, régions et communes (suppression des zones grises).

–  Par souci d’homogénéité, les entités nées de la réforme devaient avoir une taille minimum critique (20 000 habitants pour les communes). D’où le remplacement des 14 comtés (départements) par 5 régions et la diminution drastique du nombre de communes de 271 à 98.

Autre caractéristique de cette réforme, le renforcement du dispositif de redistribution des communes “riches” vers les communes “pauvres”.

Ambitieuse, la réforme fait néanmoins l’objet de certaines critiques. Parmi elles, le trop grand désengagement de l’Etat qui en résulte (confirmé par la récente décision, prise sans consultations, de confier, à partir du 1er août 2009, la gestion des jobcenters aux seules communes), la baisse de la qualité des services proposés (telle que ressentie par les citoyens d’après les derniers sondages en date), les contradictions de la réforme (comment concilier le principe du libre choix avec celui de service de proximité résultant du rôle primordial accordé aux communes?)…

6) Une conversion (trop?) tardive à la croissance verte

Anders Fogh Rasmussen appelait de ses voeux, lors du dernier congrès du parti libéral le 16 novembre dernier, l’avènement d’une croissante verte caractérisée par la renonciation à terme aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Un appel remarqué mais tardif…Ce qu’il reconnaissait lui-même, soulignant le même jour que son parti n’avait pas vraiment été avant-gardiste sur la question: “Pour être totalement honnête, beaucoup d’entre nous (Venstre) ont été quelque peu prudents, pour ne pas dire lents. Nous avons douté du fait de savoir si d’un point de vue économique, il était sain et raisonnable d’aborder toutes ces questions (de politique énergétique) (3).

Résultat, après le “règne” Anders Fogh Rasmussen, la réputation du Danemark en termes d’environnement apparaît quelque peu surfaite. Certes, 30% de l’alimentation électrique danoise provient de l’énergie renouvelable (l’énergie éolienne y contribue à hauteur de 20%) et le pays occupe le haut du classement en termes d’efficacité énergétique, mais les carences existent: un rapport de l’OCDE, publié en janvier 2008, concluait par exemple que 20% des Danois vivaient avec une qualité d’air inacceptable et que la qualité de l’eau pouvait également faire l’objet d’améliorations significatives (4). De plus, la réforme de la fiscalité incluse dans le “paquet de printemps 2.0” n’est pas aussi “verte” qu’avancé. Enfin, la hausse des taxes sur l’énergie prévue par la réforme de la fiscalité ne sera finalement appliquée, pour les entreprises, que progressivement (entre 2010 et 2013 au lieu du 1er janvier 2010) en raison de la crise économique…La conférence internationale sur le climat, organisée à Copenhague en décembre 2009, pourrait-elle relancer le mouvement?

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On est bien obligé de suivre la nouvelle tendance”. Le Premier Ministre a commencé à devenir vert en 2006. 8 octobre 2006. Photo: Roald Als

7) Les quatre exemptions n’ont toujours pas été abrogées…

Difficile de parler d’échec sur la question des exemptions dont “bénéficie” le Danemark (euro, justice, défense, citoyenneté européenne) lorsque la dernière consultation (sur la seule question de l’adoption de l’euro) remonte à 2000, donc avant l’arrivée au pouvoir d’Anders Fogh Rasmussen (les Danois avaient alors voté à 53% contre). Las, il n’aura pu, comme il l’avait annoncé, soumettre aux Danois la question des quatre exemptions avant son départ. La faute, dans un premier temps, au non irlandais au projet de Traité Européen, puis, dans un second temps, à l’apparition de la crise. Au vu de son ampleur et des incertitudes actuelles, l’hypothèse d’une nouvelle consultation des Danois en 2010, qui avait jusqu’ici la faveur des pronostics, semble un peu moins probable…

8 ) Le “libre choix”:  un principe d’action devenu incontournable

Le concept de “libre choix” caractérise sans conteste l’action menée par Anders Fogh Rasmussen. Un héritage que son successeur reprend aujourd’hui à son compte, le but étant d’offrir au citoyen danois l’éventail de solutions le plus large possible. Concrètement, il signifie que les Danois disposent par exemple du choix de leur caisse d’assurance-chômage, de leur “folkeskole” pour leurs enfants, de leur hôpital, de leur médecin, de leur maison de retraite…Sans compter le choix entre fournisseurs publics et privés dans un certain nombre de secteurs (par exemple l’aide à domicile). Un principe qui fait sens, quoique pas toujours efficace: un tout récent rapport publié par SFI indique en effet que l’implication d’acteurs privés en termes de suivi des chômeurs n’a pas répondu à toutes les attentes tant en termes de contenu qu’en termes de prix…(5).

9) Les insuffisances du système de santé

Les membres du parti libéral mettent évidemment l’accent sur les réalisations des gouvernements dirigés par Anders Fogh Rasmussen en termes de santé: libre choix pour les hôpitaux et garantie de traitement (qui stipule qu’au-delà d’un délai d’un mois d’attente dans un hôpital public, un citoyen a automatiquement le droit d’être pris en charge dans un établissement privé). Oui mais…l’existence de listes d’attente, le manque de main-d’oeuvre, le développement d’assurances santé privées défiscalisées, souscrites par l’employeur comme avantage pour ses employés (et permettant dans certains cas de passer outre les listes d’attente dans les hôpitaux), la mortalité liée au cancer parmi les plus élevées au sein de l’OCDE, viennent ternir ces avancées.

Dans son premier discours aux parlementaires, Lars Løkke Rasmussen, justement ancien ministre de la Santé, mettait ainsi l’accent les initiatives à venir: rétablissement, au 1er juillet 2009, de la garantie de traitement, provisoirement mise entre parenthèses par les grèves de 2008, construction de deux nouveaux hôpitaux, lancement d’un plan de prévention national…Il est donc permis d’espérer (6).

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Quand est-ce que vous avez commencé à vous sentír mal?” “Le jour où tu es devenu Premier Ministre”. Blæksprutten 2007. Photo: Roald Als

 10) Les autres évolutions notables

Parmi les autres mesures ou indicateurs marquants de l’ère Anders Fogh Rasmussen:

– Un niveau d’aide publique au développement parmi les plus élevé au monde: Il atteint 0,82% du PIB dans la Loi de Finances 2009.

– Introduction en 2002 du congé parental flexible de 52 semaines (4 semaines pour la mère avant la naissance, 14 semaines après la naissance et 32 semaines à partager entre les deux parents après ces deux périodes (possibilité de prolonger ou de repousser cette dernière tranche, facilités pour travailler à mi-temps).

– Libéralisation de la loi sur les horaires d’ouverture des magasins en 2005 (6 dimanches par an en plus de chaque premier dimanche du mois, ouverture permise tous les dimanches pour les magasins ne dépassant pas un certain chiffre d’affaires).

Sans surprise, le bilan économique d’Anders Fogh Rasmussen est contrasté. Mais sous sa direction, le danemark n’aura finalement que partiellement succombé aux sirènes du libéralisme, préservant, dans une certaine mesure, un modèle de société qui fait aujourd’hui exception dans un monde occidental clairement entré en décadence. En dehors de sa conversion tardive (et timide) au concept de croissance verte, sa longévité au poste de Premier Ministre (il a remporté trois élections à la suite) s’explique par sa capacité à combiner activisme et pédagogie. A méditer…

Peu de gens prédisent que son successeur, Lars Løkke Rasmussen, conservera le pouvoir après 2011. Mais quoi de plus normal lorsque le parti qu’il représente dirige une coalition parlementaire au pouvoir depuis 2001? Pour autant, une majorité de Danois reconnaissent qu’il est aujourd’hui le plus apte à sortir le Danemark de la crise (sous-entendu que la politique de relance actuelle, caractérisée par une certaine prudence et avant tout concentrée sur le renforcement du revenu disponible des ménages, est la bonne). Rendez-vous est donc pris à l’automne 2011. Il sera alors peut-être temps de changer de majorité…

(1) Danmarks Statistik http://www.dst.dk/pukora/epub/Nyt/2009/NR169.pdf

(2) Extrait de l’ouvrage intitulé “I Godtvejr og Storm”, Thomas Larsen, Editions Gyldendal 2000. http://www.andersfogh.dk/index.php?side=page_03_05

(3) Discours d’Anders Fogh Rasmussen au Congrès du parti Venstre, 16 novembre 2008, page 6.

http://www.venstre.dk/fileadmin/venstre.dk/main/files/taler/afr_soendag_lm08.pdf

(4) www.oecd.org/document/34/0,3343,en_2649_34307_39965026_1_1_1_1,00.html

(5) The Danish National Centre for Social Analysis, 15 avril 2009 http://www.sfi.dk/Default.aspx?ID=4726&Action=1&NewsId=2137

(6) http://stm.dk/_p_12814.html

 

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